Biographie de Hugo Wolf (1860-1903)
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« La vie de Wolf, écrit
Ernst Decsey, ressemble à un de ses
lieder : courte introduction, toute en lutte, explosion, décharge du cœur
en une cantilène brûlante, chute dans un épilogue muet : un drame sur une
page d'imprimerie. » Hugo Wolf est un des grands maîtres du lied. Il
compose plus de trois cents chants dans la grande tradition de Schubert et
Schumann. Sa musique, influencée par Wagner, marque toute une génération :
Gustav Mahler et l’Ecole de Vienne pourront alors entraîner le genre du lied vers
d’autres voies nouvelles. Considéré comme un compositeur secondaire par ses
pairs et de nombreux musicologues, il faut aujourd’hui lui rendre sa véritable
place dans l’histoire de la musique occidentale : la première.
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Un musicien instable :
Hugo Wolf en 1885
Hugo Wolf est né le 13 mars 1860 à Windischgraz. Son père exerçant le
métier de tanneur garde toujours la nostalgie d’une vocation artistique (il
aurait souhaité devenir architecte). Jusqu’en 1869, Hugo fréquente l’école du
village et apprend ses premiers préceptes musicaux de son père. Plus tard, les
années de lycée révèle un Hugo Wolf instable si bien qu’en 1875 il s’installe à
Vienne pour y parfaire ses études de musique, sans le consentement de son père.
C’est de cette période que datent ses premières compositions : Sonate pour piano op.1, Variations op.2, Lieder op.3 –musique encore trop impersonnelle pour y voir un
style.
Hugo Wolf ne quittera jamais la ville de Vienne, exception faite pour
quelques voyages professionnels en Allemagne à partir de 1890. Condisciple de Gustav Mahler au Conservatoire
de Vienne, Wolf fréquente les milieux musicaux et s’attarde particulièrement
sur l’Opéra : il connaît tous les rôles et musiques par cœur. L’opéra
devient pour lui un élément primordial, surtout lorsqu’il fait la découverte de
Wagner. Il entreprend même une œuvre, König
Alboin, dont quelques esquisses ont pu être conservées. Cependant, l’œuvre
la plus originale de ces années de Conservatoire reste une Symphonie dont seuls
les deux mouvements terminaux nous sont parvenus (Scherzo une Finale für grosses Orchester). L’écriture orchestrale
de Wolf révèle alors une forte influence du symphonisme berliozien.
Hugo Wolf, à la recherche de lui-même :
Wolf est toujours instable et quitte le Conservatoire en 1877, bien qu’émerveillé
du monde musical contemporain. Il même alors une vie faite de leçons et occupe
un poste de chef de chœur au théâtre de Salzbourg (sous la direction de Karl
Muck) pendant quelques mois. Cette expérience fut bénéfique pour le jeune homme
qui découvre le style comique et s’éloigne du style wagnérien.
A partir de cette période, sa
musique se divise en deux périodes. La première (1877 / 1887) révèle un
artiste à la recherche de lui-même, s’essayant à différents genres musicaux
comme le quatuor (Quatuor en ré mineur,
1877/1884), l’Intermezzo (1886), la
sérénade (Sérénade italienne, 1887),
un poème symphonique (Penthésilée,
1883/1885) et bien évidemment divers lieder.
Le Quatuor à cordes reconnu
la veille de sa mort en 1903 est considéré comme une partition prophétique et
influence notamment deux de ses plus fervents admirateurs : Reger et
Schoenberg. Quant à son poème symphonique Penthésilée,
il est convenu de dire aujourd’hui qu’il surclasse le modèle instauré par Liszt
et se situe au-delà des productions d’un Richard Strauss. Cette œuvre est un
fait un pont entre les poèmes symphoniques de Liszt et le Pelléas et Mélisande de Schoenberg. Pourtant, cette œuvre fut un
échec à sa création car elle rejetait le formalisme et le traditionalisme prôné
par Brahms et Hanslick. Conséquence logique pour Wolf, il abandonne tout rêve
de musique symphonique.
A partir de 1884, Hugo Wolf se tourne vers la critique et devient le
critique musical attitré du Wiener
Salonblatt. Cette nouvelle activité, dans laquelle il se jette à corps
perdu, lui laisse eu de temps pour composer mais précise davantage ses goûts
musicaux. Il tourne le dos à Brahms, glorifie Liszt et Berlioz et dénonce le
conservatisme de nombreux musiciens et orchestres. Il s’indigne de tant de
routine et de désordre à une époque où le nouveau directeur de l’Opéra, Gustav
Mahler, devient son adversaire le plus féroce. Il met à un terme à cette
activité d’écrivain en 1887.
Le maître du lied :
Hugo Wolf, peint par Nauer
A la fin de cette première période, les renseignements biographiques
sur Wolf sont confus et peu précis. Tout ce que l’on sait vraiment, c’est qu’il
contracta la syphilis vers 1884 qui allait l’emporter une vingtaine d’années
plus tard. Un tournant majeur de sa vie se produisit avec la mort de son père
en 1887. A la fin de cette année-là, Wolf a la chance de voir paraître ses
premiers cahiers de lieder imprimés et qui vont déjà de leurs succès. Wolf n’a
alors qu’une seule certitude : il lui faut persévérer dans cette voie.
Entre la tradition de Schubert, les avancées de Schumann et le modèle
wagnérien, Wolf devait trouver sa place. Cette partie était loin d’être gagnée
et son caractère instable et renonceur aurait pu mettre fin à ce projet.
Wolf évite de mettre en musique des poèmes déjà utilisés par
d’autres ; s’il les utilise, c’est qu’il est sûr de pouvoir apporter
davantage au poète que les musiciens précédents. Comme Schumann, Wolf est un
homme empli de références culturelles et de signes littéraires. Il se met alors
au service du poème. Durant ses concerts, il prend même l’habitude de lire le
poème à ses auditeurs avant de leur faire entendre la musique.
Tous ses lieder composés à partir de 1888 sont conçus en cycle. Des
centaines de lieder voient le jour en 1888, répartis en trois grands recueils,
sur des vers de Goethe, Mörike (qui devient « son » poète de
prédilection)et Eichendorff. Chaque cycle est dédié à un seul poète. Les deux
années suivantes, le rythme est moins soutenu avec un ensemble de vingt-six
poèmes de Goethe puis entre octobre 1889 et avril 1890 le Spanisches Liederbuch. Ces recueils sont suivis de l’Italienisches Liederbuch (1890/1891).
Wolf avait sa façon bien à lui de composer : il mûrissait d’abord
les poèmes choisis par ses soins puis se mettait au travail, composant de
manière continue, noircissant ses cahiers de jets musicaux ininterrompus (il
écrivait parfois plus d’un lied par jour) sans la moindre ébauche ni la plus
petite rature.
Si chaque cycle ou cahier de lieder comporte des caractéristiques
propres liées au poète qu’il sert, on décèle des éléments récurrents dans sa
musique : une écriture durchkomponiert
(« composé de bout en bout ») sans redites et remplissage. Le piano
devient l’expression de l’idée ou de l’image suggérée dans le texte, son
langage différent pour chaque lied, original. En comparaison, le piano de Wolf
est l’orchestre de Wagner. D’où ce surnom de « Wagner du lied » qu’on
l’affuble rapidement, ce qui irrite passablement le compositeur que l’on
cantonne entièrement à la petite forme du lied.
En réaction à ce confinement forcé de la part des critiques et
musiciens, Wolf se jette dans la composition de Le Corregidor (« le Magistrat ») en février 1895. Terminé
dans l’année, l’ouvrage a tout de suite un succès retentissant à sa création le
7 juin 1896 à Mannheim. Malgré tout, l’œuvre tombe vite dans l’oubli… Wolf
retourne alors aux lieder et compose ses dernières grandes œuvres vocales. La
folie ne tarde pas à se déclarer. Il écrit les trois Michelangelo Lieder, son chant du cygne en quelque sorte, avant
d’être interné en septembre 1897. Sa vie créatrice s’achève ici et se révèle
être l’une des plus courtes que l’on connaisse.
Il profite néanmoins de quelques périodes de rémissions mais en 1899,
c’en est fini de lui sur le plan cérébral. Après d’atroces souffrances et une
paralysie totale, Hugo Wolf s’éteint d’une pneumonie à l’asile le 22 février
1903. Il est enterré aux côtés de Schubert et de Beethoven au cimetière
principal de Vienne.