Piotr Tchaikovski (1840 - 1893)
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Considéré comme le premier compositeur russe d’envergure internationale, Piotr Tchaikovsky est un musicien complet ayant exercé son talent dans tous les genres : symphonie, opéra, ballet, musique de chambre, mélodies ou musique liturgique. Reconnu dans l’Europe entière ainsi qu’aux
Etats-Unis, Tchaikovsky
affirme son caractère russe dans sa musique et de ce fait, ouvre la voie à l’Ecole de Moscou. Héritier de Berlioz, Beethoven, ou Gounod, dans la lignée de Glinka et Dargomyjsky, Tchaikovsky prépare la future musique russe au XX° siècle telle qu’on pourra l’entendre avec les œuvres de Stravinsky.
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La naissance d’un compositeur russe :
Piotr Tchaikovsky est né en 1840 dans l’Oural
d’un père ingénieur des Mines et d’une
mère d’origine française qui lui donne ses premières leçons de piano à l’âge de sept ans. Ses études à l’école de droit de Saint-Pétersbourg (1850) le conduisent directement à un emploi au ministère de la justice (1859). Pourtant en 1863, il ressent le besoin de s’éloigner de cette activité pour se consacrer exclusivement à la musique.
Il fréquente
alors la Société
musicale russe et étudie la théorie avec N. Zaremba, la composition avec A. Rubinstein et le piano avec H. Stiehl. D’élève, il passe rapidement au statut de professeur ; il enseigne au Conservatoire de Moscou récemment inauguré (1866), et ce pendant douze années.
Musicalement, Tchaikovsky est très influencé par Glinka et Dargomyjsky,
les deux lieders du milieu musical russe de l’époque,
comme le prouvent plusieurs miniatures pour diverses formations de musique de chambre ou la première sonate pour piano en ut dièse mineur.
L’année 1866 est riche en événements car il compose sa première Symphonie Rêves d’hiver, rencontre l’éditeur Jurgenson, qui fera paraître presque toutes ses œuvres et multiplie des contacts avec l’élite musicale russe, Balakirev
et le groupe des
Cinq. Deux ans plus tard, il se lance dans une nouvelle activité et exerce jusqu’en 1876 les fonctions de critique.
Cette même année 1868, Tchaikovsky connaît une brève et platonique idylle avec la cantatrice belge Désirée Artot, qui met à nue l’homosexualité insurmontée du musicien. Pour faire face à cette période
sentimentale troublée, Tchaikovsky se réfugie
dans la composition (poème symphonique Le Destin, 1868 ; l’ouverture Roméo et Juliette, 1869) et truffe ses œuvres de références nationales ; ainsi le mouvement lent de son premier quatuor op.11 (1871) est construit sur une chanson russe et la deuxième Symphonie Petit-rusienne (1872) utilise des thèmes populaires ukrainiens.
De toutes ces œuvres s’émanent une certaine
élégance
et une excellence technique, doublé d’inventions harmoniques dignes de Wagner.
En août 1876, Tchaikovsky est invité comme reporter pour l’inauguration du Théâtre de Bayreuth, et à l’écoute de la Tétralogie wagnérienne il reste hermétique
à cette musique et refuse
catégoriquement d’y adhérer. On l’aura compris, même si Tchaikovsky emploie des éléments populaires dans sa musique, il n’en reste pas moins attaché à l’idéal classique occidental des Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Schumann et plus particulièrement à la musique française de Bizet, Gounod ou Massenet.
La production musicale
de Tchaikovsky va alors prendre de l’ampleur, tout
en proposant de nouvelles formes : les Variations sur un thème rococo pour violoncelle, le ballet Le Lac des cygnes, la Marche serbo-russe, le troisième Quatuor à cordes. Lorsqu’il travaille à sa quatrième Symphonie et à son troisième opéra, Eugène Onéguine, il décide de se marier avec une élève du Conservatoire, Antonia Milukova, afin de mettre un terme aux rumeurs de son
homosexualité (1877), mais quelques semaines plus tard, il délaisse définitivement le foyer conjugal.
Toutefois, pour surmonter sa crise psychologique, Tchaikovsky redouble ses efforts dans le travail (1878) et compose son Concerto pour violon, sa Sonate n°2 pour piano et son Album d’enfants. C’est à cette période que Tchaikovsky arrête l’enseignement et se consacre à plein temps
à la composition.
Du religieux :
Une fois affranchi du Conservatoire, Tchaikovsky peut voyager à l’étranger et rester dans un pays de prédilection autant qu’il le souhaite ;
ses préférences iront à la France, la Suisse et l’Italie. De plus, il commence à avoir une certaine
notoriété à l’étranger et ses deux œuvres majeures que sont sa quatrième Symphonie et Eugène Onéguine ne font que confirmer son talent. Il s’entoure également de Mme von Meck, une mécène très proche de lui qu’il n’a jamais rencontré de visu.
Tchaikovsky est alors l’un des musiciens du XIX° siècle
à avoir une vie relativement facile,
car autre que la composition, il n’avait aucune obligation extérieure, et ce grâce à l’apparition de ce nouveau mécénat bourgeois industriel. C’est en cela que Tchaikovsky se situe à la charnière de deux esthétiques, romantique et moderne, à mi-chemin entre l’élaboration d’un univers musical et une certaine vision néo-classique.
Pendant
sept ans, de 1878 à 1885, Tchaikovsky voyage donc beaucoup, passant généralement l’hiver en Italie, puis Paris, Saint-Pétersbourg et nombre de villes intermédiaires (Berlin, Clarens…). La correspondance est de plus en plus accrue avec Mme von Meck et devient presque quotidienne, voire amoureuse. Le dégagement financier que lui apporte cette femme permet alors au compositeur d’acquérir une maturité dans tous les genres musicaux : opéra (la
Pucelle d’Orléans, 1881), musique de chambre (le Trio, 1881-1882), musique d’orchestre (deuxième Concerto pour piano, 1882 ; Sérénade pour orchestre à cordes, 1881).
Il s’intéresse aussi à un nouveau domaine, celui de la musique religieuse. On remarque là une particularité de Tchaikovsky, car avant lui,
personne n’a proprement abordé le sujet de la
musique liturgique, et aucun de ses contemporains n’a vraiment cherché à en écrire. Cela s’explique toutefois par une interdiction de chanter durant la Divine Liturgie (l’équivalent orthodoxe de la messe) des compositions récentes qui ne figurent pas dans la liste éditée par la Chapelle Impériale. Mais Tchaikovsky et son éditeur entraîneront l’abolition du privilège impérial en introduisant de la musique « sacrée »
au concert. Ce moyen pour détourner la loi leur valu ni plus ni moins qu’un procès, gagné, et qui devait alors engager un travail de réformes.
Ainsi, Tchaikovsky compose la Divine Liturgie de Saint-Jean Chrysostome (1879) et les Vêpres (1882). En 1884, il écrit l’une de ses plus belles pages symphoniques avec Manfred, partition en quatre
mouvements unis par le thème cyclique du
héros (très influencé par Berlioz) ressemblant davantage à une symphonie sur l’absence de religion.
Le fait que cette page symphonique ne soit pas numérotée dans l’ordre de ses autres symphonies fait d’elle une œuvre à part, un chaînon manquant entre les Symphonies n°4 et n°5, qui marque un tournant dans la vie artistique de Tchaikovsky.
La consécration internationale :
1884 est l’année d’un tournant artistique, certes, mais également personnel. Tchaikovsky a maintenant acquis une réputation internationale et est joué partout en Europe (Prague, Londres, Paris) ainsi qu’aux Etats-Unis (sous
la direction d’Hans von Bülow). Mais il supporte de moins en moins tous ces déplacements
et aspire désormais à revenir en Russie.
En janvier 1885, il s’installe à Maisanovo, un village au nord-ouest de Moscou, et mène une vie de gentilhomme rural ; il y ouvre même une école. Tchaikovsky compose alors beaucoup et consacre au minimum cinq heures par jour à cette activité, lorsqu’il n’est pas perturbé par des voyages
pour divers galas et cérémonies – lors de
ses déplacements, il a néanmoins l’occasion de rencontrer Brahms, Busoni, Mahler, Grieg, Dvorak ou Massenet.
Parmi ses compositions, retenons les Douze Mélodies (op.60) et un nouvel opéra, l’Enchanteresse, écrit en 1887,alors que 1888 voit la naissance de deux chefs-d’œuvre :
la cinquième Symphonie
et l’ouverture Hamlet dédiée à Grieg. Cette même
année, le Tsar de Russie lui décerne une pension à vie.
1889 est l’année des tournées de concerts ; l’une des plus importantes. Cologne, Dresde, Berlin, Genève, Londres, Paris (dont les concerts de l’Exposition Universelle sont consacrés aux œuvres du groupe des Cinq et leurs descendants), Florence puis Rome (où il écrit l’essentiel
de son opéra La Dame de Pique). Il
reçoit également une commande du directeur des Théâtres impériaux pour un ballet, La Belle aux bois dormant, dont la création aura lieu en janvier 1890.
Le professionnel des dernières années :
Les créations des Tchaikovsky suscitent le triomphe. Nous
sommes en 1890, et Piotr atteint les sommets de son art. Pourtant, c’est à cette époque que se produit la rupture avec Mme von Meck, qui ne peut continuer à lui verser la rente promise ; cette cessation de relations suscite bien des hypothèses et aujourd’hui encore, les véritables raisons ne sont toujours pas connues. Quoiqu’il en soit, après le triomphe de la Dame de Pique en décembre 1890, Tchaikovsky, se voit commander simultanément deux œuvres
d’envergure : l’opéra Yolande et le ballet Casse-Noisette ; partitions qui occuperont le musicien deux années durant.
Tchaikovsky est maintenant une célébrité outre-Manche, et à ce titre il est invité à l’inauguration du Carnegie Hall de New York (1891) et reçoit la distinction de docteur honoris causa
de l’Université de Cambridge (1893). Au cours
de ses dernières années, Tchaikovsky compose un dernier opéra, Iolanta (1892), le Sextuor Souvenirs de Florence (1892), 18 pièces pour piano op.72 (1893) et ce qui est considéré comme son testament, la très célèbre sixième Symphonie, dite la Symphonie Pathétique (1893).
Piotr
Tchaikovsky meurt le 25 octobre 1893, laissant les circonstances de sa maladie troubles et donnant libre cours à diverses spéculations sur celle-ci. La version officielle veut qu’il soit mort de choléra ; la rumeur, elle, veut que le compositeur se soit suicidé. Ses funérailles furent grandioses, prises en charge par le Tsar. Tchaikovsky fut inhumé dans le cimetière Nevsky à Saint-Pétersbourg, auprès de Glinka, Moussorgsky et Borodine.
Sa musique :
Piotr Illitch Tchaikovsky est le compositeur russe le plus productif du XIX° siècle et le seul à avoir composé dans tous les genres.
On le présente comme un musicien éclectique, universel, qui a su assimiler la tradition nationale folklorique
russe et les influences occidentales germanique, italienne et française. Comme il fut le premier compositeur russe à être reconnu à l’étranger et dans le nouveau monde, il s’est surtout affirmé comme étant « Russe ». Cependant, il est un vrai romantique, sensible, hanté par le « fatum » et volontiers taxé d’excès.
Tchaikovsky prend ses
références musicales chez les compositeurs classiques, Mozart principalement, et en bon anti-wagnérien admire les œuvres de Bizet, Gounod, Massenet, Saint-Saëns et plus particulièrement celles de Schumann et Liszt, et rejette tour à tour Brahms et Richard Strauss bien qu’il leur porte une certaine amitié.
Cette référence classique
est nettement ressentie dans
les genres auxquels il s’intéresse ;
Suites pour orchestres, Sérénades, Variations rococo… œuvres dans lesquelles il fait preuve d’une réelle invention orchestrale dans les timbres et états d’âmes. De ses recherches « russes », il tire également certaines harmonies que l’on peut voir comme le prolongement de certaines œuvres de Bizet, Ravel ou Stravinsky.
Tchaikovsky
est resté très attaché
aux formes traditionnelles et ne transgresse pas vraiment les limites d’un genre. Pourtant, certaines de ses innovations tournent l’œil vers l’avenir : inventions rythmiques avec une énorme propension de syncopes et de transcriptions de son état nerveux, et son instrumentation qui par sa distribution des timbres est inégalable à son époque (utilisation de célesta ou d’accordéon). C’est peut-être pour ces raisons que Stravinsky, maître des rythmes
et de l’harmonie, tient en haute estime Tchaikovsky.
En résumé, que dire de Tchaikovsky ? Bien qu’influencée par l’Occident, sa musique offre des traits authentiquement russes, faisant de ce musicien russe un véritable cosmopolite romantique.