Biographie de Jules Massenet (1842-1912)
|
Jules Massenet n'est pas la fin d'une époque : il est le début d'une autre. Il a su
trouver une musique originale, une simplicité
musicale qui pour lui était seule garantie d'une
bonne compréhension et une exécution parfaite de ses œuvres.
Aimé, dédaigné, oublié, cet homme de théâtre à cherché à séduire toute sa vie. Mais à trop vouloir plaire, ce roi mélodiste agaça certains de ses
contemporains. Redécouvert réellement récemment, le centenaire de sa
mort va nous permettre de faire de sortir cet homme de l'ombre et de remettre
au goût du jour des œuvres rares, belles et inoubliables. Certes, nous allons
nous souvenir du musicien, mais surtout de l'homme, du professeur et du génie qu'il fut en son temps.
|
Jules Massenet à l'âge de 14 ans
Né à Saint-Étienne le 12 mai 1842, Jules Massenet est le dernier-né d'une fratrie de 12 enfants. Son grand-père est professeur à Strasbourg et son père, Jules Émile Frédéric, officier dans les armées du premier empire, est directeur d'une entreprise de matériel agricole de 1814 à
1848. Sa mère Eléonore-Adelaïde Royer de Marancour (1809-1875), est une bonne pianiste, qui eut le mérite d'avoir composer quelques pièces.
À partir de 1851, il reçoit ses premières leçons de piano de sa mère. Recalé une première fois en 1851, il est admis au Conservatoire de Paris le 10 janvier 1853. Il y suit les cours de Savard pour le chant et de Laurents pour le piano. Il doit interrompre ses études musicales pendant l'année scolaire 1854-1855
lorsque ses parents déménagent à Chambéry. Souhaitant à tout prix rejoindre la capitale pour reprendre ses études, il est accueilli à Paris par sa sœur Julie l'année suivante, et peut reprendre les cours du Conservatoire dès 1855.
Impressionné par l'audition de L'Enfance du Christ de Berlioz en 1855, il suit les concerts des œuvres de Berlioz et de Wagner au Cirque Napoléon (inauguré par Napoléon III en 1852, devenu depuis Cirque d'Hiver) ; les concerts que Wagner donne en personne, en 1860 lors de son séjour parisien.
Au Conservatoire, il étudie l'harmonie avec Reber, le contrepoint avec Savart, la composition avec Ambroise Thomas et l'orgue avec Benoist (1861). Il donne quelques concerts, puis, cette même année, il publie chez Brandus et Dufour une Grande Fantaisie de concert sur le Pardon de Ploërmel, sur un thème
de Giacomo Meyerbeer. Ce morceau sera détruit à sa demande en 1900. Massenet détruira plusieurs partitions tout au long de sa vie, les jugeant peu digne de son art ou de son public.
En 1863, il obtient un premier prix de fugue et en même temps, le premier grand prix de Rome pour sa cantate David Rizzio ; l'opinion de Berlioz aurait apparemment beaucoup joué dans la balance lors du résultat du concours.
Pendant son séjour à Rome, Massenet rencontre Liszt et Louise-Constance de Gressy (dite Mlle de Sainte-Marie, surnommée Ninon par Massenet). Recommandée par Liszt, elle devient une de ses élèves (piano) puis son épouse à son retour en France. Le 3 octobre 1911, il écrira : "sais-tu que le 8 octobre
prochain, il y a 45 ans que nous sommes unis... et 46 que je t'aime?".
A La Villa Médicis, il rédige les oeuvres "obligatoires" : une Grande Ouverture de concert, un Requiem, quelques fragments lyriques qui devinrent plus tard l'oratorio Marie-Magdeleine. Une suite pour orchestre, Pompeîa, qu'il nomme « Symphonie » (créée à
Paris le 24 février 1866) date également de cette période italienne, ainsi que l'entreprise d'Esmeralda, d'après l'œuvre de Victor Hugo.
De retour à Paris en 1866, ses oeuvres sont jouées et il peut également subvenir à ses besoins en donnant des cours de piano. Il pense aussi publier des pièces de piano à la mode.
La rencontre avec Georges Hartmann qui sera son éditeur et son mentor, ainsi qu'une commande de l'Opéra Comique, sont décisives pour sa carrière. Le 3 avril 1867, il crée sa première œuvre lyrique, La Grand-Tante avec Marie Heilbron dans le rôle-titre. La partition d'orchestre à été détruite,
comme celle de Don César de Bazan, dans l'incendie de l'Opera-Comique en 1887, mais n'a pas été reconstituée. La même année, son cycle de romances Poème d’avril op.14, sur des poésies d'Armand Silvestre et sa cantate Paix et liberté sont exécutés pour l'anniversaire de l'empereur.
La vie matérielle de la famille Massenet reste neanmoins incertaine. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Jules doit jouer du triangle au Théâtre du Gymnase, puis pendant quatre ans, il devient timbalier au Théâtre lyrique.
Toutefois, par ses oeuvres, il gagne rapidement en notoriété, et fait partie des jeunes compositeurs remarqués de Paris. Durant le siège de Paris troublé par la commune, il s'engage dans la Garde Nationale, (le 29 mars 1871 la conscription est abolie, et tous les citoyens valides font partie de la Garde Nationale). Ses activités
s'en trouvent alors ralenties. Cette même année 1871, il participe à la fondation de la Société Nationale de Musique.
En 1872, son opéra comique Don César de Bazan, tient l'affiche de l'Opéra-Comique de Paris pendant 13 représentations. Cette oeuvre fut remaniée par Massenet lui-même en 1888. En 1873, il compose les musiques de scène pour Les Erinnyes de Lecomte de Lisle jouées à l'Odéon et
crée le drame sacré Marie-Magdeleine avec Pauline Viardot dans le rôle-titre. Cet ouvrage est immédiatement reconnu comme un chef-d'oeuvre et assure la notoriété, enfin, du Jules Massenet. Composé en 1874, Ève, un mystère en trois parties, connaît aussi un vif succès.
En 1877, son opéra Le roi de Lahore, aboutissement de plusieurs années de travail (1872-1877), est joué avec succès au Palais Garnier. L'éditeur italien Ricordi propose de le faire traduire en italien et propose un autre sujet : Hérodiade.
Jules Massenet couronné par la Muse
Grâce à cet opéra, Massenet devient, à l'âge de 36 ans, professeur de composition au Conservatoire (en remplacement d'Ambroise Thomas qui devient alors directeur du Conservatoire) puis entre à l'Académie des Beaux-Arts contre Camille Saint-Saëns. Admiré par Tchaikovsky, cet œuvre est à l'origine de la réputation
de Massenet à l'étranger.
Massenet a alors la réputation d'être un bon professeur : parmi ses élèves, Gabriel Pierné, Gustave Charpentier, Florent Schmitt, Alfred Bruneau, Guy Ropartz, Reynaldo Hahn, Charles Koechlin et Georges Enesco.
Refusé en raison de son sujet biblique par Vaucourbeil, directeur de l'Opéra de Paris, il crée Hérodiade (1879) le 19 décembre 1881, au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles et renouvelle ainsi son triomphe du Roi de Lahore.
Peu de temps après, Massenet compose sa dernière et plus connue suite d'orchestre, les Scènes alsaciennes. Désormais, il ne s'occupe plus que d'opéra! Enfin presque, puisqu'il continue de produire quelques mélodies pour les salons, continuant de cette manière à asseoir sa notoriété
et percevant une source non négligeable de revenus. Massenet laisse un total de 260 mélodies, dont certaines ont été regroupées en cycles, et 25 avec un accompagnement orchestral.
Après avoir essayé trois sujets lyriques, il commence la composition de Manon Lescaut (1882) sur un livret d'Henri Meilhac et de Philippe Gille, d'après la nouvelle de l'abbé Prévost. Cette œuvre lui demande deux années de travail ; il visite à cette occasion la demeure de l'abbé Prévost à La
Haye. Manon Lescaut est créée à l'Opéra-Comique en janvier 1884 avec Marie Heilbron dans le rôle-titre (elle meurt en 1886). Il grave la partition pour la Première, ne pouvant ainsi apporter aucune modification sur son oeuvre.
Le Cid - décors
Le Cid est créé en 1885, et avec lui, Massenet assume son aptitude à changer de ton : il conserve la forme du grand opéra tout en le vidant de ses clichés. Cette même année, il met en chantier Werther, une œuvre construite dans un cadre plus intime. Créé à
Vienne en 1892, en allemand, Werther fut donné à l'Opéra de Paris en 1893 avec un succès très relatif. Le chromatisme de cette œuvre peut faire penser à l'influence de Wagner, Massenet s'étant rendu à Bayreuth en 1886 entendre le maître des lieux.
Melle La Mare dans le rôle de Charlotte - Werther
En 1887, il modifie la partie de Manon pour la jeune soprano américaine Sybil Sanderson, et compose Esclarmonde pour la mettre en valeur. Cette œuvre eut un beau succès, notamment lors de l'Exposition Universelle.
Avec Le Mage (1889 - créé en 1891), Massenet revient au Grand Opéra, sur un livret de Jean Richepin. Malgré un bon accueil, l'œuvre ne fit pas carrière... Toujours en 1891 date Amadis, un opéra légendaire, qui ne fut représenté qu'après sa mort. Remanié en 1910, l'ouvrage est créé
en 1922 à Monte-Carlo.
Le Mage - décors
En écrivant le Portrait de Manon, Massenet revient aux demi-teintes de l'opéra-comique. Parallèlement, il se lance dans une œuvre d'envergure, Thaïs, d'après Anatole France, avec Sybil Sanderson. Destinée à l'Opera-Comique, Thaïs est créée à l'Opéra
de Paris en mars 1894. En juin, La Navarraise, ouvrage résolument tragique, est créée à Londres, au Covent Garden.
De 1893 à 1901, Massenet revient de nombreuses fois sur Grisélidis, dont il rédige plusieurs versions. Comme avec Thaïs, il cherche à créer une fusion des styles.
A la mort d'Ambroise Thomas, il refuse la direction du conservatoire et démissionne de son poste de professeur de composition, prétextant que son activité de créateur le force à avoir trop souvent un remplaçant (en général Gédalge). Ses élèves seront unanimes à reconnaître ses talents
pédagogiques.
Désormais "libre", Massenet nous livre Sapho (1896), remaniée et recréée en 1909. Il s'installe à Égreville, au Sud de Fontainebleau et y achève son œuvre de musique sacrée, La terre promise, qui est créée à l'église Saint-Eustache de Paris. En 1900, il compose
la musique pour Phèdre de Racine, jouée au Théâtre de l’Odéon. Le joyeux Le jongleur de Notre-Dame, sera créé à Monte Carlo en 1901.
Massenet entre dans sa période "antique", avec successivement Ariane (1905), Bacchus (1908), Roma (1902-1910), Cléopâtre (1911-1912). Puis, il aborde la comédie, avec Chérubin (1903), Thérèse (1905-1906),
Panurge (1911) et enfin Don Quichotte (1909) créé en 1910 par Chaliapine. Cette dernière œuvre compte parmi les plus jouées de celles composées par Massenet.
Lucien Fugère dans le rôle de Sancho Pança - Don Quichotte
Jules Massenet meurt le 13 août 1912 à Paris. Il était un homme de grande culture, admiré de ses élèves, reconnu pour ses talents de musiciens et de pédagogues (18 de ses élèves deviendront grand prix de Rome, sans compter ceux auxquels il délivra de nombreux conseils tels Maurice Ravel). Il fut également
un orchestrateur né, faisant apparaître dans ses partitions des instruments "antiques", d'autres peu répandus comme le saxophone (le Roi de Lahore), le célesta (le Jongleur de Notre-Dame) ou 10 darkoubas à l'unisson (Cléopâtre). Malgré tout, il restera un homme mystère, ne s'étant pas beaucoup répandu en correspondance ou échange avec sa famille, ses amis ou contemporains,
bien qu'il ait eut de nombreuses connaissances dans le domaine culturel.