Paul Dukas (1865 - 1735)
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Paul Dukas est un perfectionniste né, composant lentement et ne
laissant derrière lui que peu de pièces (douze au total) car soucieux de ce
perfectionnisme maladif, il détruisit un grand nombre de ses œuvres avant de
mourir. Son opéra Ariane et Barbe-Bleue,
son ballet la Péri, ses pièces pour
piano et surtout l’Apprenti Sorcier,
fantaisie orchestrale rendue célèbre par le dessin animé Fantasia, établissant Paul Dukas comme un grand compositeur
moderne.
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Le Conservatoire :
Paul Dukas est né le 1er
octobre 1865 au sein d’une famille de musiciens. Très vite, l’enfant développe ses traits de caractère : à l’âge de quatre ans il se repli sur lui, devient susceptible et sensible. Cela trouve son origine avec le décès prématuré de sa mère Eugénie, morte après avoir accouché d’un enfant mort-né. Nous ne possédons guère d’éléments sur l’enfance de Paul Dukas, sinon ce qu’il en dit dans
sa correspondance : « Mes souvenirs sur l’école Turgot ? Ce sont hélas, ceux d’un trop médiocre élève pour que je m’empresse beaucoup de les évoquer ».
« J’ai manifesté dès ma plus tendre enfance des dispositions musicales extraordinaires ». Plus sérieusement, il débute le piano à l’âge de 8 ans. Mais, « c’est seulement vers ma quatorzième année que je commençai à
manifester quelques dispositions sérieuses (…). J’ai appris seul le solfège tout en continuant de composer en cachette, car on me l’avait défendu ( !) ».
De ces premières compositions, il ne reste rien, comme on peut s’en douter. Paul Dukas est admis au Conservatoire le 7 décembre 1880 où il est seulement auditeur dans la classe d’harmonie de Théodore Dubois ; ce dernier dirigea en grande partie ses études musicales, et pourtant le maître et l’élève
ne s’entendent pas. L’année suivante, il restera auditeur au Conservatoire mais assistera également à quelques classes d’orgue données par César Franck.
Les études sérieuses vont réellement commencées le 10 novembre 1882 lorsque Dukas est admis au Conservatoire en tant qu’élève. Cela ne va malheureusement pas le motiver et il va se montrer tel un élève ordinaire et un peu de temps il sera décidé que le piano n’est pas fait
pour lui et qu’il abandonnera cette classe. Il ne fréquentera dès lors que la classe de Dubois, toujours sans grand intérêt. Après cinq années dans cette classe, il délaissera son professeur pour Ernest Guiraud, chargé de la classe de composition.
Désormais, il va se mettre au travail et entre 1882 et 1889 vont naître une vingtaine d’œuvres. Guiraud sera un bon pédagogue, qui voit sa notoriété grandir avec le succès de son élève Debussy au Prix de Rome ; ce dernier devient même un ami
de Paul Dukas qu’il rencontra en 1885. Au contact de Guiraud, Dukas va devenir un inconditionnel de Wagner, déclarant à la fin de Parsifal : « cette œuvre unique ».
En mai 1888, il est enfin admis à concourir au prix de Rome, sans succès. L’année suivante, aucun grand prix n’est donné ; Dukas s’exprime enfin : « Gounod se mit en quatre pour m’empêcher d’obtenir le prix et me prodigua tous les conseils et les meilleurs consolations. Saint-Saëns
au contraire prit parti pour moi ». Paul Dukas gardera la dent dure contre Gounod : il suffit de lire ses critiques dans la Revue Hebdomadaire, acharnement qui dura de nombreuses années.
Critique ou compositeur :
En 1889, Dukas termine le Conservatoire. Il doit désormais effectuer ses obligations militaires avant de revenir dans le cocon familial, car Dukas est maintenant âgé de 25 ans et ne tiens absolument pas à quitter le nid. Aussi, pour des raisons financières, il sait qu’il ne pourra vivre tout de suite de sa musique et envisage
avec sérieux la critique musicale.
Dukas en service militaire (1890)
Il compose à cette époque, Polyceucte, dirigé le 24 janvier 1892 par Lamoureux au Cirque des Champs-Elysées. Chausson laissera une critique élogieuse de cette exécution : « C’est très remarquable (…) Les idées
sont d’un ordre très élevé, l’orchestration est parfaite (…). C’est un artiste qui s’annonce et un vrai ».
Dukas commence à être écouté, à être lu et devient vite une référence dans le monde de la critique musicale. Son ancien professeur Guiraud, décédé précipitamment le 6 mai 1892, laisse une œuvre inachevée, Brunchilda, que vont achever Saint-Saëns
et Dukas. Elle sera donnée sous le titre nouveau de Frédégonde, et aura de bonnes critiques, notamment Bruneau : « On doit l’instrumentation des trois premiers actes à un jeune compositeur de talent et de savoir, Paul Dukas, dont le zèle est ici le plus louable ». Pourtant, l’échec est patent.
Dukas à son harmonium dans sa maison d'Eragny sur Oise (1895)
Peu de temps après avoir honoré la mémoire de son illustre professeur, il termine sa Symphonie le 28 mars 1896. Il n’avait pas livré d’œuvres de son cru depuis plus de cinq ans et beaucoup pouvaient alors dire qu’il avait abandonné la composition au profit de la critique.
Cette symphonie, créée le 3 janvier 1897, suscite des réactions diverses : Debussy (« La symphonie de Dukas a été à l’orchestre une désillusion. C’est devenu tout petit et cela ressemble à du Beethoven mélangé
à du Charpentier. Je n’y comprend absolument rien »), Kœchlin (« cette symphonie se traîne dans l’ornière classique que Beethoven a creusé plus puissamment »), Magnard (« J’en ai admiré la forme nette et la belle tenue musicale »). Néanmoins, il réussit à conquérir le prestige de celui qui a le courage d’écrire une œuvre de musique pure, qui plus est une
forme délaissée depuis Gossec, Méhul et Berlioz. Il a donc fallu Saint-Saëns, Lalo et Franck pour réinitialiser cette forme.
L’apprenti Sorcier :
Dukas est à un tournant de sa vie. Il va écrire l’œuvre qui va le rendre célèbre aux yeux de tous : l’Apprenti Sorcier. Il ne s’est jamais exprimé sur les raisons qui l’ont incité à composer cette œuvre. Inspiré d’une ballade de Goethe, Der Zauberlahrling,
l’ouvrage fut écrit entre le printemps 1896 et le mois de février 1897.
Il rencontre Chausson à Bruxelles au début de l’année 1897, lui fait entendre l’Apprenti Sorcier ; ce dernier est enchanté et tient absolument à l’inscrire au prochain concert d’orchestre de la Société Nationale. En raison d’un incendie
du Bazar de la Charité et de la sécurité renforcée dû à cet événement, beaucoup de critiques sont absents et la première exécution dirigée par Dukas lui-même passa quasiment inaperçue. Il recevra néanmoins quelques éloges, tel Déodat de Séverac : « Un jeune musicien a fait exécuter une pièce symphonique des plus intéressantes. Il avait tiré
son inspiration d’une nouvelle de Goethe et je t’assure que j’ai rarement entendu musique aussi descriptive, aussi vraie d’expression que celle-là ».
Pour obtenir la consécration, il faut attendre l’exécution de Lamoureux, le 19 février 1899, au Cirque des Champs-Elysées. Le public l’acclame, l’ouvrage est plébiscité et devient très vite un morceau de référence ; les plus joués durant quinze années.
Hormis ce succès, Dukas compose (Sonate pour piano) et révise les œuvres de Rameau (Indes galantes, la Princesse de Navarre, les Fées de Ramire, Nélée et Myrthys, Zephire et des
airs avec accompagnement de piano). Il s’intéresse également de très près à Ariane et Barbe-Bleue de Maeterlinck ; son confrère et ami s’y était également intéressé mais avait récusé ce travail qu’il n’aurait pu mener à terme de toute façon étant décédé accidentellement (il tomba de bicyclette), ce qui bouleversa Dukas. Ariane et Barbe-bleue avance
difficilement : à l’automne 1901, il achève l’esquisse de l’acte I seulement.
Dukas en 1900
1900 : l’heure est à la création musicale parisienne. C’est l’Exposition Universelle et c’est une nouvelle exécution de l’Apprenti Sorcier donnée à la salle du Trocadéro le 6 septembre 1900. L’autre succès retentissant de Dukas interviendra juste après l’Exposition
Universelle avec la Sonate pour piano.
Toutefois, mis à part cette notoriété soudaine, Dukas n’a aucunement changé ses habitudes de vie : il partage toujours son quotidien avec son père et Adrien, retrouve régulièrement sa famille proche et consacre la majeure partie de ses loisirs à ses amis (Albéniz, Ropartz,
Magnard…).
La critique se met même à acclamer les œuvres parjurées auparavant, telle sa fameuse Symphonie ignorée de 1897. En même temps, Dukas achève ses Variations sur un thème de Rameau, crées le 12 mars 1903 à Bruxelles. Encore un succès devant ce
public qui applaudit, tant à Bruxelles qu’à Paris.
Dukas, Madame Chausson et ses 3 enfants (1902)
Ariane et Barbe-Bleue :
En 1903, Dukas est soudain accablé de douleur suite au décès de la femme qu’il aimait, Wanda. Replié sur lui-même, il ne se rend qu’aux manifestations qui l’exigent et aiguise finement sa plume, ne laissant ainsi aucune chance aux œuvres de Brahms (l’Ouverture
Tragique, Concerto pour violon), louant d’Indy. Musicalement, il poursuit la composition d’Ariane et Barbe-Bleue, qu’il termine le 13 novembre 1905.
C’est à cette époque qu’il renoue son amitié avec Debussy, désirant avoir l’avis de ce dernier sur son Ariane. Celui-ci écrira plus tard : « Mon impression la plus nette est que la beauté d’Ariane et Barbe-Bleue a quelque chose d’implacable
qui efface tout ce qui est autour d’elle ». La première eut lieu à l’Opéra-Comique le 10 mai 1907, « Enfin ! »
Dukas lors d'une répétition du 3° acte d'Ariane, aux côtés de Jacques Rouché à l'Opéra
Le nombre de critiques publiées par la presse atteste de la particularité de cet opéra. Elles prendront même un tour inhabituel en se donnant à des dissections tant sur le plan littéraire que musical, chacun y allant de son petit commentaire.
Ces derniers mois furent des plus éprouvants pour Dukas. Pour se reposer et se ressourcer, il décide d’effectuer un séjour en Suisse, en compagnie d’Edouard Dujardin, un grand voyageur et randonneur aguerri. A son retour sur Paris, il reste en compagnie de ses amis (Albéniz, Falla,
Fauré) qui contribuent à l’amélioration de son moral.
Mais quelques mois plus tard, le destin s’acharne contre lui : le vendredi 8 novembre, son frère Adrien décède précipitamment. Dukas est effondré et se confine dans la solitude.
Dukas a besoin de changer d’air ; il s’installa à Nice, non loin de la famille Albéniz, pendant quelques temps. Au même moment, son Ariane est représentée hors de France, à Vienne en 1908, en Belgique l’année suivante, au Metropolitan Opera de New York et à la Scala
de Milan en 1911.
Durant l’été, plusieurs projets semblent le motiver : tantôt un nouveau drame (« Le nouveau monde »), tantôt un poème symphonique (« le Fils de la Parque »), tantôt une sonate pour violon et piano tant attendue
par le public. Toutefois, c’est une Vocalise-Etude qu’il publie chez Leduc en 1909 sous le titre de « Alla Gitana ».
Peu de temps après, il est de nouveau ébranlé par le décès d’Albéniz (le 18 mai 1909).
Le professeur :
Au cours de ces épreuves musicales, la personnalité musicale de Dukas ne cesse de s’affirmer, en France comme à l’étranger. Membre du conseil supérieur du Conservatoire, il accepte en plus un poste de professeur, pour la classe d’orchestre ; poste vacant depuis la mort de Taffanel.
Dukas compose peu. Son œuvre est rare mais son intérêt grandit au fil des années. Durant l’été 1910, le directeur de La Revue S.I.M. Jules Ecorcheville lui commande une pièce pour piano pour commémorer le centenaire de la mort de Haydn. Ce sera le Prélude élégiaque, crée
le 11 mars 1911.
Cette même année, il va faire une rencontre intéressante : Gustav Mahler, venu avec sa femme à Paris pour la première exécution de sa Seconde Symphonie « Résurrection ».
Selon Alma : « Je vis soudain Debussy, Dukas et Pierné se lever et sortir au milieu du deuxième mouvement (…) ils expliquèrent que c’était trop schubertien pour eux, et que même Schubert leur paraissait trop étranger,
trop viennois, trop slave ». Un comportement bien étrange de la part de Dukas qui respectait le compositeur, l’œuvre et l’homme qu’était Mahler. Dukas ne fera jamais allusion à ce concert.
Dukas, accompagné de Pierre Lalo et de deux personnes non identifiées
Cinq ans après Ariane, Dukas enrichit son catalogue de La Péri, une pantomime lyrique en un tableau « tirée d’une légende persane », qu’il acheva en décembre 1910. Il instrumente également avec Florent Schmitt
quelques Valses sentimentales de Schubert. Il se lance ensuite dans une autre œuvre théâtrale, le Sang de Méduse, un poème chorégraphique en un acte. Dans le même, il reprend la traduction de La Tempête de Shakespeare, son œuvre préférée de Shakespeare.
1914 : déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Dukas a 48 ans et n’est plus mobilisable. Comme plusieurs musiciens, il manifeste néanmoins des dispositions guerrières : « Je suis prêt à me faire casser la figure comme un autre ». Il vivra très
mal ces années de guerre, accumulant les décès de ses connaissances et amis, de son père. Pour garder son esprit occupé, il entreprend la révision des œuvres de Beethoven, mais ne retient aucun projet. Colette elle-même lui suggère « un délicieux livret de ballet opéra » mais Dukas ne fit aucune consultation à ce sujet.
Les dernières années :
Au sortir de la guerre, Dukas est attristé (« il a fallu trop de sang et de ruines ») malgré un bonheur proche. Il s’est marié il y a peu sera bientôt père (novembre 1919). A Paris, la vie musicale tend à se réorganiser lentement. Il révise les Essercisi per gravicembalo de Domenico Scarlatti. Il ne reprendra sa plume de critique qu’en 1923 pour commenter les productions lyriques de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, et l’abandonnera définitivement en avril 1924. Il n’écrira ensuite que des études sur des musiciens (Fauré, d’Indy, Messager) ; sa réflexion est désormais tournée vers le passé. Il n’aime guère la nouvelle génération, celle du Groupe
des Six, de Milhaud, d’Enesco, de Roussel, d’Ibert ou Poulenc.
A la fin des années 1920, Dukas entre dans la dernière étape de sa vie. Sa santé se dégrade, les deuils de ses proches et amis se multiplient et la situation internationale le perturbe. Il reste près de sa famille (ceux qui restent) et continue ses activités dans le domaine de l’enseignement.
Il doit désormais se partager entre quatre classes, les comités, les auditions, les jurys… Depuis 1926, il enseigne la composition à l’Ecole normale de musique de Paris, puis en 1928 au Conservatoire de Paris. Parmi ses élèves, Yvonna Desportes, Maurice Duruflé, Jean Langlais et Olivier Messiaen.
Dukas (1932)
Autre honneur également : le 15 décembre 1934, Dukas est élu à l’Institut.
Dukas se sent âgé. Au cours des premiers mois de 1935, il subit trois défaillances cardiaques qui lui commandent alors un repos complet. Il reprend ses cours en mai, mais le 17 mai 1935, il décède d’un œdème pulmonaire.
Dukas a marqué toute une génération par son charisme et une œuvre restreinte, certes, mais élaborée à l’extrême. Le philosophe Gabriel Marcel écrira :
« Sa musique est de l’ordre de la pensée ; c’est par la pensée et pour elle que la Sonate annonce Ariane ou La Péri. L’émotion à laquelle cette musique s’élève est toujours, si l’on peut dire, supra intellectuelle, au lieu de n’être que l’expression immédiate d’un sentiment qui ne s’est pas encore élucidé lui-même en se pensant (…) L’œuvre de M. Dukas toute
entière nous semble marquée comme l’effort continu d’une personnalité pour se dépasser elle-même, au sein d’un ordre supérieur où il ne subsiste plus que le souvenir sublimé, l’essence intellectuelle de ce qu’elle fut en tant qu’individualité immédiate ».