L’opéra :
L’opéra
italien :
La tradition veut que la date de naissance de l’opéra soit 1600, date à laquelle fut écrit l’Euridice de Peri, le premier opéra à être passé à la postérité. Cependant, la musique de scène existait
déjà bien avant, dans les miracles et mystères médiévaux, les drames sacrés… qui ont eu leur part d’influence dans l’évolution de ce genre révolutionnaire : l’opéra.
A la fin du XVI° siècle se réunissait à Florence une petite élite de nobles cultivés,
désignés par les historiens sous le nom de « Camerata Bardi ». Sous l’égide d’une certain Giovanni Bardi di Vernio et de Jacopo Corsi, elle accueillait des compositeurs tels que Cavalieri (v.1550-1602), Péri (1561-1633) et Caccini (v.1550-1618).
Leur volonté était de reproduire l’harmonie des mots et
de musique de l’ancien théâtre grec. Ainsi, ces compositeurs et poètes partirent de ce modèle grec pour introduire la monodie, alors seule capable de rendre compréhensible le texte et la déclamation ; la musique ne devait alors que refléter l’esprit d’ensemble.
Ces premières œuvres, des « favola per musica » révélèrent
très vite des caractéristiques bien précises – à croire qu’il y avait à l’époque une course pour la priorité. Quatre pièces furent publiées en moins de 10 ans :
- septembre 1600 : Rappresentazione di Anima e di Corpo,
de Cavalieri (1° représentation à Rome)
- décembre 1600 : Euridice, de Caccini
-
février 1600 : Euridice, de Péri (1° représentation à Florence en octobre 1600)
- 1609 : Orfeo, de Monteverdi (dont la 1° représentation était en 1607 à Mantoue)
Même si les œuvres de Péri ou Caccini paraissent pâles et monodiques au regard de l’Orfeo de Monteverdi, il n’empêche que ces auteurs lui ont ouvert la voie sur le plan musical et dramatique.
Ce qui distingue
l’Orfeo des œuvres antérieures est l’utilisation plus ample des ressources musicales. Il est l’une des premières partitions d’opéra à avoir survécu, avec une si riche instrumentation destinée à caractériser les personnages et les situations ; par exemple les trombones servent pour les scènes infernales, l’orgue pour Orphée, les cordes pour figurer le sommeil. Le stile recitativo, devenu stile espressivo et stile
rappresentativo, s’autorise également des libertés dans l’emploi des dissonances et des tonalités, pour exprimer les événements et les sentiments.
Après la création de cet Orfeo, on aurait cru que l’opéra allait se développer dans les cours princières de Florence et Mantoue. Il n’en fut rien. Rome et Venise devinrent les centres importants
de l’évolution de l’opéra.
L’opéra romain :
Grâce à Cavalieri qui partageait son temps entre Florence et Rome, il n’est pas étonnant que la ville papale fut l’un
des premiers terrains d’entente favorable à l’opéra.
Toutefois, ce sont des compositeurs tels que Agazzari (1578-1640) et Rossi (1570-1630) qui donnèrent sa forme à l’opéra romain. Ce dernier se caractérise par une magnificence scénique, l’emploi d’une machinerie impressionnante et sa capacité à
introduire des passages comiques dans des scènes pastorales ou héroïques. Le San’t Alessio de Stefano Landi (1590-1639) représenté au théâtre Barberini en 1632 offre un bon exemple des deux aspects du genre.
Un autre fait : après
l’élection du Pape Innocent X (1644), des membres de la famille Barberini et leurs protégés (Rossi par exemple) partirent pour Paris ; ce qui allait contribuer à l’influence italienne sur la naissance de l’opéra français.
Rome, Teatro dell'opera
L’opéra vénitien :
Plusieurs innovations de l’opéra romain furent implantées dans l’opéra vénitien, en particulier les passages comiques et la machinerie extravagante. Peu
à peu, de nombreuses différences apparurent entre les deux écoles. Tout d’abord, les opéras n’étaient plus l’occasion de commandes des familles aristocratiques (les Médicis à Florence, les Gonzague à Mantoue, les Barberini à Rome) mais ils n’étaient désormais écrits pour des institutions ou des théâtres.
En 1637, à Venise, s’ouvre le premier théâtre d’opéra public et payant, le Teatro San Cassiano, avec l’opéra de Francesco Manelli (1595-1667), Andromeda – partition malheureusement perdue. Entre 1637 et 1700, plus de 400 opéras seront crées, dont les plus importants sont : Nozze di Teti, de Cavalli (1639), Arianna, de Monteverdi (1640),
Il ritorno d’Ulisse,
de Monteverdi (1640), Didone, de Cavalli (1641), l’Incoronazione di Poppea, de Monteverdi (1642), Calisto, de Cavalli (1651), Xerse, de Cavalli (1654).
Musicalement, l’opéra vénitien se compose des recitativo secco et recitativo accompagnati, des ariosi dramatiques et lyriques, des arie de
diverses sortes, avec accompagnement de basse continue, orchestre, clavecin ou instruments concertants. Les chœurs et les ballets sont pratiquement absents pour raisons financières, l’orchestre demeure peu important (cordes et vents seulement).
Le sujet peut être mythologique, historique, héroïque, conduisant à un caractère dramatique et pictural. Le livret, quant à lui, est tout aussi important que la musique.
Les opéras de Cavalli possèdent toutes ces caractéristiques majeures : le récitatif sert davantage à caractériser les personnages par des changements d’instruments au sein de la basse continue, et les airs sont désormais écrits à deux ou trois voix, dont l’instrumentation n’est généralement
pas fixée par le compositeur.
Aussi, Cavalli établit un schéma dont le succès ne va pas se démentir au cours des XVII° et XVIII° siècle. Ses opéras, tout comme ceux de Sacrati ( ? – 1650) avec la Finta pazza (1641), vont faire école en Italie et en France.
Venise, Teatro La Fenice
L’influence de Monteverdi, qui passe avant tout par son élève Cavalli, est d’une extrême importance sur l’opéra, notamment avec son dernier opéra, l’Incoronazione di Poppea, car avec lui, les principes de l’opéra sont clairement énoncés. Par sa diversité, il tend vers un public plus large, et annonce le futur
mouvement de l’opéra seria napolitain.
Avec Marc Antonio Cesti (1623-1669) et Alessandro Stradella (1645-1681), une nouvelle tendance va se dessiner. L’exigence musicale sera de rigueur : le récitatif perd de son importance au profit de l’aria, permettant aux chanteurs de briller par leurs techniques vocales. L’aria se fera désormais
accompagnée par l’orchestre entier et sera de ce fait plus expressive.
Plus encore qu’Albinoni (1671-1750), Marcello (1686-1739) ou Caldara (1670-1736), Antonio Vivaldi (1678-1741) prend la tête de l’Ecole vénitienne. Il assure une production d’une cinquantaine d’opéras dans les capitales italiennes et étrangères, dont
l’un des plus célèbres est Orlando furioso (1727) qui illustre une forme nouvelle, dite « à numéros ».
C’est alors que l’opéra italien commence à devenir un genre international.
L’opéra napolitain :
A ses débuts, l’école napolitaine cultiva l’opéra vénitien. Mais peu à peu, les livrets se simplifient et l’on remarque une distinction très nette entre opéra seria et opéra buffa, les premiers éliminant les intermèdes comiques. C’est alors le règne du bel canto qui s’épanouit dans l’aria da capo.
Stradella et Francesco Provenzale (1627-1704) comptent parmi les meilleurs devanciers de Alessandro Scarlatti (1660-1725). Ce dernier, auteur de 115 opéras, fit évoluer l’orchestre, qui acquit plus en importance, dans un style soutenu, empreint de clarté et de pathos, et avec des instruments concertants.
Naples, Teatro San Carlo
L’opéra devient un concert, où le public peut s’extasier des prouesses vocales des prima donna et primo uomo (castrats). Ce « nouvel » opéra, codifié par les librettistes Zeno et Metastasio, aura ses lettres de noblesses à travers Pergolèse (1710-1736) ou Jommelli (1714-1774).
La particularité de cet opéra est d’être envahi d’intermezzi buffa, joués en guise d’entractes, tels ceux de la Serva Padrona dans Il Prizionier superbo de Pergolèse (1733). A partir de cette « servante maîtresse » va se dessiner le profil de l’opéra buffa qui verra ses sommets avec Da Ponte et Mozart.
L’opéra français :
Durant la première moitié
du XVII° siècle, la France ne dispose que d’un genre hybride de musique dramatique, le ballet de cour. Dans celui-ci se trouvent réunis une action poétique, de la danse, des chants (chœurs à 4 ou 5 voix), des récits (solos préfigurant l’air ou le récitatif) ; en un mot tous les ingrédients du mélodrame qui feront qu’il sera l’une des principales caractéristiques de l’opéra français.
Les tentatives de Mazarin pour introduire en France le nouveau genre italien se révélèrent peu fructueuses. Les opéras italien représentés à la cour française tel l’Orfeo de Rossi en 1647, ne recueillent que guère d’enthousiasme et l’on y introduit bientôt des intermèdes musicaux et dansés pour qu’il soient appréciés.
Au cours de leurs premières expériences dans les genres de la comédie-ballet ou de la pastorale, la musique n’intervient que sous forme de divertissements, et les œuvres de Perrin et Cambert (la Pastorale
d’Issy, 1659) n’ont toujours pas de succès.
Il fallut attendre la fondation de l’Académie de musique (28 juin 1669) et son spectacle Pomone (3 mars 1671) de Cambert et Perrin pour que s’esquisse l’avenir d’un thème lyrique national. Lorsque l’Académie passa sous la main de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) va naître un nouveau genre français : la tragédie
lyrique.
Rigaud, portrait de Louis XIV (cadre de Lepautre)
/Sous le règne de L. XIV, la musique
est un instrument politique
Influencée par la tragédie classique de Corneille et Racine, la tragédie lyrique ou tragédie en musique est à l’image de la tragédie antique et emprunte son sujet aux mythes, légendes et histoire héroïque. La musique doit alors se calquer sur la déclamation de la tragédie. La première œuvre est due à Lully
et Quinault (1635-1688) : Cadmus et Hermione (1673), et se compose d’une ouverture à la française, d’un prologue (à l’éloge du roi), de cinq actes, de récitatifs (qui ne ressemblent aucunement aux récitatifs italiens et possèdent une écriture élaborée qui suit le texte), des ensembles, des chœurs, des airs (avec une mélodie syllabique et un refrain), des pièces instrumentales et bien entendu des ballets (écrits
pour orchestre à cinq parties).
Ainsi, avec Lully naît un opéra national français. Après sa disparition en 1687, ses opéras dominent encore la scène, et ce n’est qu’avec Charpentier et sa Médée (1693) que la tragédie lyrique évoluera. Mais cette évolution se fera dans
une atmosphère de polémique, se partageant entre partisans de la musique française et de la musique italienne. André Campra (1660-1744) laissera quelques tragédies, telles Hésione (1700) ou Tancrède (1702) ; œuvres dans lesquels il confirme son don pour l’inspiration mélodique d’influence italienne.
La vivacité des genres intellectuels et la longue tradition théâtrale rendent le débat sur l’opéra très animé. Au début du XVIII° siècle, aux côtés de la tragédie lyrique, grâce à l’œuvre de Campra, un opéra-ballet spectaculaire. Mis au point avec A. Houdar de la Motte,
ce genre est plus purement musical et chorégraphique.
Né de la réunion de deux ou trois divertissements (ballets et musique insérés dans une pièce, deux ou trois actes), chacun bâti sur un thème plus ou moins indépendant, ces spectacles luxueux consistent en scènes de ballet, airs et chœur.
Parmi les œuvres les plus importantes, comptons l’Europe galante de Campra (1697), les Eléments de DeLalande et Destouches (1721) ou les Indes galantes de Rameau (1735).
L’opéra-ballet coexiste avec la tragédie lyrique jusqu’au milieu du XVIII° siècle, et c’est à travers Jean-Philippe
Rameau (1683-1764) que l’opéra français, sous toutes ses formes, inscrira ses lettres d’or. Il laisse des tragédies lyriques (Hippolyte et Aricie, 1733), des pastorales héroïques (Zaïs, 1748), et même des comédies-ballet (Platée, 1745).
En raison de la faiblesse de ses livrets, Rameau tend à sacrifier le texte à la musique
et à la danse, multiplie les chœurs,
donne plus de souplesse et de mélodie à son récitatif au point de rendre plus difficile la distinction entre air et récitatif. Ses talents d’harmoniste et de coloriste vont également lui permettent de rendre ouvertures et symphonies plus concertantes. Les défenseurs de la tragédie lyrique traditionnelle seront surpris par tant d’italianisme et iront jusqu’à provoquer une vaine querelle entre lullistes et ramistes.
L’opéra dans les pays germaniques :
Les pays de langue allemande qui connaissent le drame scolaire de la Renaissance, avec chansons et chœurs, empruntent à l’Italie leur nouveau genre. L’introduction de l’opéra en Allemagne est due à H. Schütz. Adepte
des grands principes de l’école vénitienne et du récitatif florentin, il mit en musique la Dafne de Rinuccini en 1627. Cette manifestation ouvrit la voix au genre de l’opéra, et Vienne, Munich ou Dresde deviennent très vite les foyers importants de l’italianisme.
Cependant, les difficultés économiques
liées à la guerre de Trente Ans (1618-1648) ont interdit à l’opéra de s’épanouir en Allemagne. De nombreuses cours cultivent néanmoins ce genre comme divertissement à l’occasion de fêtes et aux côtés des opéras français et italiens. L’opéra allemand naîtra peu à peu et se composera de dialogues, airs et chœurs, récitatifs d’influences italiennes, d’ouvertures et de danses françaises.
Dans tous les lieux de résidence importants vont s’ouvrir des théâtres de cour, mais le plus souvent dans des cadres restreints. Seul Hambourg possède un théâtre d’opéra public, en 1678, à l’image de celui de Venise.
Après plusieurs tentatives pour créer un opéra national allemand dans les cours de Braunschweig (avec J.J. Löwe, Hasse), Hanovre (avec Agostino Steffani, 1654-1728), Dresde ou Vienne (ou l’influence de Cesti et Fux sera prédominante), c’est bien la cour de Hambourg qui en suscitera l’événement.
Même si l’on donne de nombreuses compositions nouvelles, on peut également y entendre des traductions ou adaptations d’opéras italiens et français, où dans ce cas les récitatifs sont traduits ou remplacés par de nouveaux.
Johann Kusser (1660-1727), Reinhard Keiser (1674-1739), Johann Mattheson (1681-1764), Georg Philipp Telemann (1681-1767) et Haendel
livreront de nombreux
opéras, aux mélodies puissantes et claires et d’habiles imitations instrumentales.
L’opéra anglais :
Le masque est l’un des premiers genres scéniques autonomes accompagné de musique dans l’Angleterre des Stuarts de la première moitié du XVII° siècle. Analogues au ballet de cour français dans leur forme, ces pièces laissent pressentir l’opéra (John Blow), dont le principal créateur est Purcell (Didon and Aeneas, 1680).
Musicalement, le style de ces œuvres s’apparente à celui de l’Ecole vénitienne et des tragédies lullistes. Ce qui fait la particularité nationale de l’art de Purcell, c’est son humour ; et comme ses contemporains germaniques, il se montre disciple des français et des italiens. Son langage aux confins du modal et du tonal, et ses basses de ground font de lui un atout majeur pour l’opéra anglais.
Sa disparition prématurée assurera la venue d’étrangers tels les italiens Bonincini et Gasparini, et les allemands italianisés que sont Hasse et Haendel. Ce dernier va affirmer pendant un quart de siècle l’opéra italien en Angleterre, à travers Rinaldo (1711), Giulio Cesare (1724), Orlando (1733) ou Ariodante
(1735). Il surpasse
les compositeurs italiens par son invention harmonique et mélodique et en bâtissant des scènes dramatiques de grande ampleur, finit d’implanter en Angleterre ce nouveau italien.