le madrigal, l’ayre anglais, l’air de cour et le lied :
Le madrigal italien :
C’est au sein de l’école vénitienne de la fin du XVI ° siècle que l’on peut déceler les premiers indices d’un changement stylistique, en particulier dans la musique à double choeur de Willaert. A cette époque, il était permit aux instrumentistes de doubler les voix, une nouvelle pratique apparut sous le nom de concertato ou concerto, qui devint un véritable mot d’ordre au début de
l’ère baroque. Ce sont Andrea
et Giovanni Gabrieli qui l’ont pour la première fois employé dans un titre Concerti per voci e stomenti (1587).
Gabrieli, dans une certaine mesure, servira de modèle pour des pièces graves à Monteverdi et, surtout chez Schütz. Tantôt les instruments doublent les voix à l’octave et tantôt ils évoluent de façon indépendante
au sein d’un ensemble concertant. La technique,
en particulier, qui consiste à doubler massivement les parties extrêmes, est une idée qui vient des jeux de mixture de l’orgue, que Gabrieli transpose aux compositions vocales.
L’apparition, aux alentours des années 1600, du stile rappresentativo, ou récitatif, est souvent considérée comme le tournant le plus important de toute l’histoire de la musique et révèle un principe
nouveau : la
mélodie soliste avec un accompagnement fait d’une succession d’accords.
La basso continuo; qui est certainement la meilleure sténographie musicale jamais inventée, esquisse un accompagnement en accords au moyen d’une ligne de basse chiffrée dont la réalisation est improvisée.
Elle demande au moins deux instrumentistes, l’un pour exécuter la ligne de basse (instrument à archet ou
instrument à vent), et l’autre pour réaliser l’accompagnement en accords (instrument à clavier, luth, théorbe...). Il y avait souvent plus de deux instruments ; les grands ensembles ont les mêmes caractéristiques du continuo qui se pratiquait au début de l’époque baroque.
clavecin italien, XVII° siècle
L’accompagnement sous forme de continuo prend ses origines dans les partitions d’orgue.
La basso continuo est essentiellement un support instrumental, un soutien harmonique. Le soin apporté au chiffrage de la basse varie beaucoup : à coté de basses entièrement chiffrées, on en trouve qui ne le sont que partiellement ou pas du tout. Ces basses ne représentent qu’une partie de cette pratique universelle qu’est l’ornementation improvisée.
Ce style monodique évolue entre
deux extrêmes
: un récitatif avec une basse statique qui se réduit à une succession de pédales (Péri) ou bien une mélodie très chantante avec une ligne de basse plus alerte.
En dehors de l’opéra, la monodie proprement dite débute avec les Nuove Musiche de Caccini, publiés en 1602. Bien que Claudio Monteverdi (1567-1643) n’ait pas été associé
aux débuts de la monodie,
c’est son génie
dramatique qui en fait en genre musical, vivant. Ses monodies sont apparues dans ses derniers livres de madrigaux, en particulier les septième (Lettera amorosa) et huitième (lamento della ninfa). La puissance expressive de son style monodique est devenue proverbiale grâce à son Lamento d’Ariane.
Vers la fin du XVI ° siècle, deux éléments
font évoluer le style du madrigal : la simplicité rythmique et l’écriture verticale et d’autre part les expérimentations harmoniques. Les tendances dramatiques et expressives se sont exacerbées jusqu’à l’extrême. La conception de la dissonance n’est plus en accord avec les idées de la Renaissance, ainsi que le reconnaît Monteverdi lorsqu’il parle de la seconda prattica. A la différence des monodistes,
c’est avec le
madrigal que Monteverdi
traverse une crise stylistique. C’est vers 1600 qu’on passe d’une harmonie fondée sur les intervalles à une harmonie d’accords, et de la dissonance préparée à la dissonance non préparée.
Monteverdi n’a jamais imité l’audace de Gesualdo dans ses progressions harmoniques ; mais dans ses dernières oeuvres, il prend plus de liberté que lui dans
le traitement de la dissonance. Les Madrigali guerrieri
et amorosi (huitième livre, 1638) nous montrent l’aboutissement du stile concertato. Monteverdi, est bien le premier à comprendre les possibilités dramatiques. Il combattimento di Tancredo e Clorinda (1624, publiés dans le huitième de madrigaux) introduit le stile concitato et d’autres procédés dramatiques tels le pizzicato et le trémolo. Avec le Combattimento, Monteverdi définit les formes de l’oratorio profane.
l’ayre anglais :
Ce n’est que durant la seconde moitié du règne d’Elisabeth que va se dessiner une nouvelle perspective musicale. Les causes en sont multiples : influences d’italiens qui se fixent à Londres (Alfonso Ferrabosco en 1569), le réveil nationaliste,
les progrès qui commencent à se faire jour dans
le domaine musical et surtout le développement d’un théâtre, dont Shakespeare est le plus grand représentant.
Le renouveau sonore anglais est en grande partie liée à la découverte de ce que faisaient les italiens depuis plus de deux générations. A l’époque où William Byrd publie ses Songs of sundrie Natures (1589), le mot madrigal
n’apparaît pas encore, le développement
est très raide et le langage harmonique très sévère.
L’explosion musicale ne se produira que dans les dix dernières années du règne élisabéthain. Les trois plus grands maîtres de l’époque vont alors lever le voile du madrigal : Thomas Morley (1557-1602), John Wilbye (1574-1638) et Thomas Weelkes (1575-1623). Ce qui était spécialité italienne devient la
plus anglaise des
formes, mais cet italianisme des nombreux anglais ne reste cependant que de façade.
Si Thomas Morley est incontestablement le premier en date à user du madrigal en 1594, il publie ses premiers traités théoriques en langue anglaise (A plain and easy Introduction to practical Music, 1597), dans lesquels il cite l’influence de maîtres italiens tels que Marenzio ou Vecchi. A lire ses textes, l’on se rend compte à
tel point les
anglais ont été séduits par la souplesse du madrigal et sa capacité à s’adapter aux humeurs les plus diverses.
Par choix, les anglais maintiennent longtemps le madrigal polyphonique aux côtés de l’ayre pour voix soliste et luth ou viole. Forme spécifique à l’Angleterre, l’ayre doit être avant tout mélodique et privilégie le ténor (au sens ancien du terme),
porteur d’un message
poético-musical.
John Dowland (1563-1626) nous a légué quelques 80 chansons qui, sans artifices instrumentaux et par le seul jeu de la voix, soutenue d’un luth, permettent d’atteindre une intensité dramatique comparable à celle des grands madrigaux pour soliste de Monteverdi. Un jeu de mot sur son nom lui a servi de légende autobiographique (Semper Dowland, semper dolens).
Outre
l’ayre avec luth, on trouve à partir de 1630 des airs avec basse continue pouvant également être accompagnés au luth). Les airs strophiques sont en général plus simples que les airs composés sur des textes madrigalesques libres. Les modèles italiens continuent de se vêtir des couleurs britanniques.
John Wilson (1595-1674), John Blow (1649-1708) ou Henry
Purcell
(1660-1717) composeront des pièces,
où
mariées à des rythmes de danses, permettront que l’ayre trouve un délectable accomplissement en fin de siècle.
Virginal anglais (1641)
L’air de cour :
Forme évoluée de la chanson française, l’air de cour prédomine dans les dernières années du XVI° siècle et la première
moitié du XVII° siècle. Accompagné au luth ou par la basse continue, l’air de cour garde de la chanson française la simplicité de la mélodie et de sa carrure, et continue d’être écrit pour 4 ou 5 voix. Mais la vogue du luth va modifier la structure de l’air français : l’écriture polyphonique laisse peu à peu sa place à une seule ligne mélodie accompagnée par le luth puis le clavecin.
épinette française en forme d'aile d'oiseau (1637)
Dans les premières années du XVII° siècle, les relations entre la France et l’Italie sont incessantes et de nombreux maîtres florentins séjournent à la cour, influençant fortement notre musique nationale. Caccini (1550-1618) incitera les compositeurs français à la récitation chantée et à l’art de l’ornementation, et Pierre de Nyert, de retour d’Italie, opère la véritable
synthèse du chant français
et de la manière italienne.
L’air de cour atteint alors ses sommets avec Cambefort, Le Camus (1610-1677), J.B. Boesset (1587-1643), Cambert (1628-1677) et surtout Michel Lambert (1610-1696).
Le lied allemand :
Il
existe également en Allemagne un répertoire monodique
profane, pour amateurs, selon les diverses provinces de langue germanique. C’est une forme que l’on nomme « lied » : une chanson simple, de style populaire, pour une voix soliste et basse continue, au contenu moralisateur et ayant pour sujet la vie quotidienne.
Pendant que le lied de soliste culmine avec A. Krieger (1634-1666) durant toute cette période baroque, les airs de Johann Philipp Krieger (1649-1725) se
rapprochent des
airs d’opéra et enchantent par la variété de leurs thèmes littéraires. Bien que l’influence italienne soit indiscutable dans cette évolution, le genre évolue de façon discrète, éclipsé par les nouveautés révolutionnaires de la musique instrumentale.
La cantate :
La cantate italienne :
Créée par les musiciens italiens pour indiquer après l’épuisement du madrigal tout morceau profane destiné au chant, la cantate est un genre da camera pour une voix (parfois 2 ou 3) et basse continue, étoffé ou non d’un violon et d’une flûte.
Née
à Venise, la cantate commence à s’affirmer à Rome avec Giacomo Carissimi (1605-1674) et atteint avec lui sa forme définitive, résultant de la combinaison du style arioso (privilégiant la mélodie) et du style récitatif. Avec Rossi, la cantate devient descriptive, avec une mélodie extrêmement développée. En fait, elle est un genre de laboratoire à cette époque afin d’améliorer les différentes techniques
vocales.
Bologne sera toute aussi importante dans le développement de cette forme : en effet, c’est là que naquit un nouveau type de cantate, caractérisé par l’introduction de la ritournelle instrumentale (clavecin, violoncelle
ou violons). Les œuvres de Giovanni Battista Bassani (1647-1716)
nous en donnent de nombreux exemples (l’armonia delle Sirene ou Il cigno canoro) ainsi que celles de Giovanni Maria Bononcini (1672-1749), avec deux recueils de Cantate per camera a voce sola op.10 & 13 (1677-1678) et de Maurizio Cazzati (1620-1677).
Quant à l’importance de Naples, elle se justifie par l’évolution de la cantate vers le théâtre,
et le développement de ce que l’on appelle communément
l’aria da capo. Ainsi, la cantate devient plus lyrique.
Ainsi, Alessandro Scarlatti (1660-1725) porte le genre à sa plus haute expression avec ses quelques 700 cantates, dans lesquelles il nous épate par sa richesse mélodique et la virtuosité incomparable des airs.
L’autre grand auteur est Alessandro Stradella (1644-1682) à qui l’on doit l’introduction du principe
de concerto grosso dans l’accompagnement
et de textes historiques ou d’extraits de la mythologie classique, menant la cantate proche du mélodrame.
La cantate française :
La cantate fut importée en France vers la fin du XVII° siècle. Selon l’Encyclopédie, elle consiste en « un
petit poème fait pour être mis en musique »
et se compose « d’un récit exposant le sujet, d’un air en rondeau, d’un deuxième récit et d’un dernier air contenant le point moral de l’ouvrage ». Elle ne réunit que deux ou trois personnages et est destinée à être chantée dans l’intimité, non conçue pour le théâtre.
Les premières cantates furent écrites avant 1700 par Marc-Antoine
Charpentier
(1634-1704) avec Orphée descendant aux Enfers (vers 1683 ?).
Toutefois, c’est dans les milieux italianisants que la cantate prend réellement son essor au début du XVIII° siècle. André Campra (1660-1744) et Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) signèrent plusieurs livres de cantates, riches en effets expressifs et au style vocal orné.
Pour le plus célèbre, Jean-Philippe
Rameau (1683-1764) laisse sept cantates, des œuvres de jeunesse composées entre 1710 et 1730. Bien que d’une grande perfection formelle, elles révèlent une forte influence italienne.
La cantate allemande :
L’absence de tradition poétique
comparable à celle que connaissait l’Italie à
la même époque devait empêcher tout développement de la cantate profane en Allemagne. Ce n’est qu’au XVIII° siècle que la cantate italienne prit un certain essor, notamment lors de fêtes et anniversaires aristocratiques. Les principaux compositeurs ayant écrit des cantates italiennes en Allemagne sont Johann David Heinichen (1683-1729), Giovanni Alberto Ristori (1692-1753), Johann Adolf Hasse (1699-1783) et Carl Heinrich Graun (1701-1759).
C’est principalement dans le domaine de la musique religieuse que la cantate va atteindre ses sommets. La cantate protestante, de langue allemande, est née du concert spirituel dans la seconde moitié du XVIIème siècle.
Dès Heinrich Schütz (1585-1672), la cantate élabore en une seule partie une œuvre en plusieurs parties, variées tant sur le plan
formel que sur le plan de l’instrumentation.
Tantôt chantée, tantôt mélodique et tantôt récitante, la cantate, du fait de l’influence du concert spirituel, se trouve liée aux lectures de l’office (Neue geistliche Konzerte de Scheidt, 1634/1635). Dietrich Buxtehude (1637-1707), dont les œuvres forment la synthèse de tous les types de cantates préexistantes, distingue :
-
la cantate-lied : composée
autour d’une aria empruntée aux premiers chants
- la cantate-choral : construite selon la forme d’harmonisation de choral
- la cantate concertante avec aria : associe un air à un texte biblique
- la cantate-mixte :
avec partie concertante, récitatif,
arioso, air et arrangement de choral
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) devient le maître incontournable de la cantate et en compose une kyrielle de types divers. Parmi les compositeurs importants de cantates, relevons Johann Pachelbel (1653-1706), Johann Kuhnau (1660-1782), G. Böhm, N. Bruhns et bien d’autres.