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Mahler : Nun will die Sonn’so hell aufgeh’n


     Nun will die Sonn’so hell aufgeh’n est le premier chant des Kindertotenlieder, un cycle de cinq lieder que Mahler écrivit entre 1901 et 1904. Avant la mise en musique de Mahler, les Kinderotenlieder sont un recueil de 432 poèmes de l’écrivain Friedrich Rückert (1788-1866) ; à la perte de ses enfants, celui-ci livra toute sa douleur dans la poésie. Mahler trouvera un écho à cette œuvre, ayant lui-même affronté le décès de l’une de ses filles en 1907.

Mahler est essentiellement un compositeur de symphonies et de lieder, confondant même ces deux univers ; le plus bel exemple reste Das Lied von der Erde (le Chant de la Terre). Au moment de commencer l’écriture des Kindertotenlieder, Mahler possède à son actif plusieurs symphonies et de nombreux lieder (dont le fameux Lieder eines fahrenden Gesellen).

 

Le Poète :

        Le lied Nun will die Sonn’so hell aufgeh’n est construit sur un court poème de quatre strophes, comprenant chacune deux vers. Le texte poétique nous paraît être utilisé comme la source d’une expression intérieure plutôt que comme un support littéraire que ma musique imiterait servilement. En effet, il y a une grande importance pour les effets de lumière : “le soleil”, “la nuit”, “la clarté”, “brille”, “la lumière”, “une petite lampe”.

A l’écoute, cette sensation visuelle est immédiatement perceptible : les contrastes entre les sonorités sombres de la plupart des instruments (violoncelles, cors, bassons, clarinettes basses) sont transpercées par les timbres clairs ou acérés du hautbois et du Glockenspiel. Si, avec Mahler, elle reste dans la tradition romantique (celle de Berlioz, de Liszt, de Brahms), cette recherche particulière de la couleur orchestrale marque une des caractéristiques de ce que sera l’Expressionnisme : une volonté de retranscrire une sensation primitive, dépouillée des artifices de l’intellect.

Ce Lied est destiné à être interprété par un chanteur à la voix de baryton, accompagné ainsi par un orchestre symbolique où les instruments graves sont renforcés.

 

Thématique :

-          Chacune des quatre sections du Lied est divisée en deux parties. La première est plutôt orchestrée par les bois. La deuxième partie sollicite plutôt les cordes.

-          Un motif instrumental joué par le hautbois introduit chaque section. De même, un court motif rythmique exécuté par le Glockenspiel retentit en conclusion de toutes les parties.

-          Les différents motifs témoignent d’une étroite parenté. Ils sont formés autour d’une même cellule mélodique (l’intervalle de seconde mineure) et ils observent, en règle générale, la même courbe mélodique descendante. De plus, une complémentarité supplémentaire est apportée par l’écriture : le motif a2 provient d’une transformation rythmique (diminution) du motif a1.

-          L’orchestration même participe à leur unification : chaque motif vocal est suivi d’un motif instrumental, et, en dehors des doublures voix/instruments, on peut remarquer quelques échanges entre les différents instruments.

-          D’autre part, le graphisme de la partition affiche un éparpillement des motifs à travers tous les pupitres. Ce morcellement mélodique est atténué par les parties de harpe et de cors qui assurent la cohésion du tissu polyphonique.

-          Le seul Tutti de l’orchestre apparaît à la fin de la troisième section. La voix abandonne le motif au profit d’une longue courbe chromatique (mesures 52 à 59), et elle atteint le sommet de son ambitus (Mi bémol) sur les paroles : “Tu dois plonger la nuit dans la lumière éternelle”. L’orchestre prend des couleurs incandescentes (mesures 59 à 63) : sous l’indication “avec une expression douloureuse”, les crescendos et les decrescendos s’enchaînent rapidement, les cellules mélodiques se brisent dans les pupitres de bois sur des courbes déchirées par les violons.

   

Ecriture :

        Le langage de Mahler est plutôt d’inspiration harmonique. Ceci se justifie aisément dans une forme où l’orchestre a pour rôle de soutenir une mélodie vocale. Cependant, comme chez la plupart des musiciens de la deuxième moitié du 19ème siècle, la conception verticale de l’écriture est profondément marquée par des emprunts au contrepoint.             

Ainsi, nous pouvons trouver dans ce Lied, plusieurs procédés issus de l’écriture contrapuntique :

              Un motif traité en canon à l’octave (mesures 27 et suivantes).

              -  Un motif issu d’une écriture en diminution (a2).

              Un contrepoint assez libre entre les bassons et le 1er cor (mesures 69 à 72).

              - Une écriture en mouvement contraire (voix et hautbois, mesures 47 et suivantes).

Cependant, la manifestation la plus évidente de cette fusion entre deux styles d’écriture est particulièrement perceptible dans la distribution des motifs, et donc des rôles thématiques, à tous les pupitres de l’orchestre. Aussi, certains instruments, tels que le violoncelle ou l’alto, sont utilisés non plus comme un simple soutien harmonique mais comme producteurs de mélodies et de sonorités particulières.

    

Harmonie :

        La musique de Mahler reste ancrée dans la tonalité. Dans ce Lied, la tonalité de Ré mineur est omniprésente. On ne trouve pas de longues modulations dans ces quelques pages. Les cadences conclusives qui ferment chaque strophe du poème affirment toutes la tonique Ré (Ré Majeur pour les deux premières strophes, Ré mineur pour les deux dernières).

Cependant, on remarquera l’abondance des notes étrangères, des chromatismes qui troublent ou colorent la tonalité. En conséquent, on pourra aussi relever la constante oscillation de la tierce entre mineur et Majeur, les dissonances non résolues entre la mélodie des violons et son accompagnement (mesures 59 et suivantes), ou encore l’installation du ton de Ré mineur sans cesse différée par de multiples emprunts.

 

      Les Kindertotenlieder sont l’une des œuvres les plus représentatives de l’esthétique post-romantique : ce cycle repose sur un orchestre à l’effectif imposant digne d’un Berlioz et une poésie témoignant d’une profonde mélancolie. Mahler va plus loin que ses contemporains tout en restant dans la tradition, ouvrant ainsi la voie à l’Expressionnisme et à la future musique du XX° siècle.                                                                                           

                                                                                                                                              

 

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