Béla Bartok (1881 - 1945)
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Béla Bartok fait parti de cette génération de compositeurs, qui, au début du XX ème siècle, cherche leur langage en s’inspirant de la musique populaire de leur pays. A la différence des Sibelius, Falla, d’Indy, Smetana, Martinù, il a su synthétiser toutes les sources
musicales et s’affranchir dans
le même temps de
l’académisme post-romantique germanique ; en témoignent Musique pour cordes, percussions et célesta, et ses quatuors à cordes n°3 à 6.
En plus de composer et enseigner, Bartok poursuivit toute son existence ses recherches ethnomusicologiques, recensant les musiques folkloriques de nombreux pays (Hongrie,
Roumanie, Ukraine, Bulgarie, Algérie, Egypte, Anatolie) et inaugurant
une nouvelle discipline. C’est ainsi qu’il trouva les fondements de sa propre musique, liant intimement le langage et le contenu. Béla Bartok, également pianiste émérite, est aujourd’hui considéré comme le plus important pianiste-compositeur de son temps, volant même la première place à Prokofiev ou Rachmaninov.
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Un hongrois prodigue :
Béla Bartok est né
en 1881 à Nagyszentmikhos (aujourd’hui Sinnicolant en Roumanie) de parents musiciens amateurs ; son père, directeur d’une école d’agriculture, était violoncelliste dans un orchestre d’amateurs, et sa mère, institutrice, était pianiste. Son père meurt prématurément et sa mère doit s’installer à Pozsony (Bratislava) pour donner quelques cours de piano. Le jeune Béla est émerveillé par la musique et révèle
très tôt des dons impressionnants. A l’âge de onze ans, il interprète sa première composition, le Cours du Danube, (op.18 de son catalogue de jeunesse). On y décèle les influences de Haydn, Mozart et Schumann et déjà des éléments empruntés aux danses tsiganes et danses populaires.
A
Pozsony, Bartok prend des leçons de piano et d’harmonie avec Laszlo Erkel et se lie d’amitié avec Ernö Dohnanyi, de quatre ans son aîné. Quand ce dernier part pour le Conservatoire de Budapest, Bartok prend sa place à l’orgue de la chapelle du lycée. L’influence de ce garçon est telle que Bartok, brillamment reçu au Conservatoire de Vienne, décide de le suivre au Conservatoire de Budapest. A cette époque, le jeune Bartok orchestre les Danses
hongroises de Brahms et transcrit pour piano l’ouverture de Tannhäuser.
Sa formation musicale est principalement axée sur l’étude des maîtres romantiques et Bartok se subjugue alors devant Brahms, analyse tout Wagner et demeure
fasciné par la musique de
Liszt. Cependant, il prend conscience de la culture
d’Europe orientale à travers certains de ces maîtres allemands et s’interroge dès lors sur la musique hongroise, car si Bartok connaît quelque chose de la musique de son pays, cela concerne davantage une musique corrompue donnant davantage dans le folklore dénaturé.
Sur le plan compositionnel, Bartok ne sait où
aller : sa technique d’écriture
est empreinte à Brahms et Liszt et pourtant, en 1903, il subit un choc artistique à l’écoute d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. De cette conjonction naît Kossuth, son poème symphonique écrit en réaction contre l’exclusivité musicale germanique et en faveur de sa fascination personnelle pour le nationalisme hongrois. Puis, il s’agit de la Rhapsodie pour piano op.1 (1904), d’un Scherzo
pour piano et orchestre (1904/1905)
et de deux suites d’orchestre.
Un tournant artistique :
Bartok était
pianiste et s’absentait souvent à l’étranger pour des concerts.
Au cours de l’été 1905, il se présente au concours Rubinstein à Paris pour le piano et la composition mais sans succès, ce qui le rend amer envers les jurys, tout comme le sera le jeune Prokofiev quelques années plus tard envers toute forme de formalisme.
Cependant, Bartok va aller plus avant de ses découvertes musicales :
en 1905, il apprend que Zoltan Kodaly souhaite organiser des recherches sur les musiques paysannes hongroises. Bartok va alors débuter dans un nouveau domaine, l’ethnomusicologie, qu’il va mener de front avec celles de pianiste et compositeur. Dans le même temps, il découvre une véritable mine d’or musicale et publie avec Kodaly, devenu son ami intime, Vingt chansons populaires hongroises (1906).
Bartok et Kodaly par Emma Kodaly, 1913
Les idées philosophiques, religieuses et donc musicales de l’ethnographe s’en trouvent bousculées : il devient athé, s’appuie sur la science et l’astronome pour prouver ses idées et il tend à se libérer peu à peu du système des modes majeurs et mineurs occidentaux. Il s’accoutume aussi à une musique rythmée
très librement, possédant des rythmes impairs de cinq
ou sept temps, inusités dans la musique classique.
C’est ainsi que Bartok fonde les préceptes de sa propre musique et assimile la musique paysanne à son propre langage, toujours sous influence de Bach, Beethoven, Liszt ou Debussy. Il admire Schoenberg, sans adhérer à son système dodécaphonique et se sent très proche de Stravinsky chez
lequel il admire la verve populaire, les danses et les motifs primitifs.
La période hongroise :
C’est au piano que Bartok élabore toutes ses expériences
musicales : c’est l’époque de l’Allegro barbaro (1911) qui se manifeste par un élargissement tonal, du Château de Barbe-Bleue, sa première oeuvre scénique qui semble l’égal du Pelléas et Mélisande de Debussy.
Cependant, Bartok reste ignoré
de la critique et seuls ses travaux
de collectes avec Kodaly le sauvent
de l’anonymat. En 1916, il écrit le Prince des bois - un ballet qui, aux côtés du Château de Barbe-Bleue, lui donne le succès et la récompense du public – puis encore une œuvre scénique avec le Mandarin merveilleux (1924), une pantomime démoniaque entre l’amour, l’argent et la mort. C’est principalement avec cette dernière œuvre que Bartok intègre le folklore hongrois (mélodies improvisées, rythmes magyar et
bulgare, harmonie construite sur la mélodie…).
Toutefois, pour la Hongrie, ce sont des années de guerre ; des temps difficiles à vivre car Bartok supporte mal les angoisses de ce climat et songe à l’exil. Heureusement, sa vie professionnelle est plus féconde : en 1921 et 1923 naissent les deux Sonates pour violon et piano, la Suite de danses pour orchestre. Puis, ce sont le premier Concerto
pour
piano (1926), les troisième et quatrième Quatuors (1927/1928), la Cantata Profana (1930), le deuxième Concerto pour piano (1931).
Entre-temps, Bartok se livre à quelques récitals aux Etats-Unis (1927/1928) et en URSS (1929), puis compose les quatuors n°5 (1934) et n°6 (1939), les pages les plus abouties de ses Six quatuors à cordes. Cette série de quatuors
représentent l’évolution artistique du pianiste-compositeur et se situent directement dans la lignée des derniers quatuors de Beethoven.
Son œuvre majeure, son œuvre-clé, c’est Musique pour cordes, percussions et célesta (1936), où
sont
représentés tous les éléments du langage bartokien : les structures de l’œuvre comportent également les lois du nombre d’or et la fameuse « suite de Fibonacci ». L’année suivante, c’est la Sonate pour deux pianos et percussions (1937), œuvre qui est à elle seule une référence en matière d’instrumentation contemporaine.
Ces deux œuvres auront une influence
incommensurable
sur la future génération de compositeurs tels Lutoslawsky, Boulez, Stockhausen, Ligeti ou Berio, et figurent désormais aux côtés de pièces « classiques » de Webern et Varèse.
Bartok est un pianiste, un compositeur, un ethnomusicologue
mais également un grand pédagogue ; il a été nommé en 1907 professeur de piano à l’Académie de musique de Budapest et prend place parmi les grands éducateurs. Lors de l’apprentissage pianistique de son second fils, Bartok compose une méthode de piano, graduelle, sous le nom de Mikrokosmos (1932/1939) qui habitue également les jeunes interprètes à la musique contemporaine.
La période américaine :
Avec la montée fracassante du nazisme, la situation de la Hongrie devient
plus que préoccupante. Bartok proteste et tente de se révolter contre ce
régime fasciste. Mais il doit vite se rendre à l’évidence : à la fin 1940, il quitte son pays pour émigrer aux Etats-Unis.
Bartok est malade, fatigué et va connaître les années les plus difficiles de son existence. L’Amérique ne le connaît pas et ne veut pas le connaître. Sa situation
va cependant s’améliorer avec l’aide
des commandes : Serge Koussevitzky lui demande un Concerto pour orchestre (1943), Yehudi Menuhin une Sonate pour violon seul (1944) et William Pemrose un Concerto pour alto, achevé après sa mort par son élève et ami Tibor Serly ; ce dernier acheva aussi le troisième Concerto pour piano.
Bartok
est atteint de leucémie ;
sa santé décline rapidement. Il meurt en plein travail le 26 septembre 1945. Sa dépouille sera exhumée et rapatriée dans son pays natal, à Budapest en 1988.
Le langage bartokien :
Dès son enfance, Béla Bartok est un fervent partisan des musiques populaires hongroises. Quand il entreprit la collecte des chants folkloriques, il trouva le moyen technique de réaliser la synthèse musicale entre l’Orient et l’Occident.
Aussi, afin de libérer la musique des modes majeur et mineur, il utilise les anciens modes
de la musique populaire, dont le plus ancien,
le mode pentatonique. La richesse modale de ces musiques était telle que le jeune ethnographe émancipa quartes et quintes, aboutit aux axes de triton, usa avec abondance des douze sons chromatiques. De même en ce qui concerne le rythme, qui, avec ses cinq et sept temps, lance de nouvelles possibilités, et l’harmonie qui se calque exclusivement sur la mélodie.
« Plus
un chanson est primitive, plus son harmonisation et son accompagnement peuvent être singuliers ».
Bartok atteint un équilibre parfait entre ces deux mondes musicaux dans ses dernières partitions ; Musique pour cordes, percussions et célesta en est le meilleur exemple.
Pionnier de l’ethnomusicologie, Béla Bartok a été fidèle toute sa vie à ces préceptes éthiques et socials, menant à un renouvellement des formes à travers cet amour pour les traditions populaires. Bartok
est un chimiste musical : il sait doser les éléments dont il a besoin pour en faire la synthèse. Ses œuvres sont aujourd’hui considérées comme des classiques du répertoire, et Bartok comme un auteur incontournable du XX° siècle.