Le prix de la liberté :
Le 23 septembre 1777, Wolfgang
et Anna-Maria, sa mère, prennent la route ; Léopold n’ayant pu obtenir
l’autorisation d’un congé. Mozart est un homme libre et euphorique de l’être. A
Munich, les choses ne tournent pas en sa faveur car même s’il est très
apprécié, les gens ne veulent pas l’embaucher. Peu importe, il est jeune et
cela ne l’inquiète guère.
Pour la première fois, il songe à faire revivre ou créer le drame
musical allemand. Devant l’engouement et le respect pour l’opéra italien, en vu
de son besoin de créer pour le théâtre, Mozart souhaite réellement créer une
nouvelle esthétique. Mais celle-ci ne verra le jour que dans quelques années.
Il quitte Munich le 11 octobre ; il n’a rien écrit, rien gagné,
obtenu aucun espoir. Augsbourg ne présente aucune perspective à Wolfgang hormis
le fait de se retrouver avec une partie de sa famille, en résidence dans cette
ville si inhospitalière pour le génie mozartien.
Le 31 octobre, il entre dans Mannheim, véritable cité musicale ayant
abrité Stamitz, le créateur de la symphonie moderne qui avait commencé une
révolution musicale qui s’achèverait avec Haydn, Mozart et Beethoven. Quelques
jours après son arrivée, il est au mieux avec les principaux musiciens de la
ville. Un bon début pour se faire connaitre, et non plus reconnaitre.
Malheureusement, il n’aura pas plus de chances qu’avec les villes précédentes.
Pourtant, il va y faire une rencontre heureuse, celle de la famille Weber :
le père est copiste, Josepha la fille aînée créera en 1791 le rôle de la Reine
de la Nuit dans la Flûte Enchantée, Constance deviendra son épouse.
Le 14 mars 1778, Wolfgang part pour Paris, toujours accompagné de sa
mère. Dès son arrivée, il doit donner des leçons de musique – ce dont il a
horreur – se met à composer (Symphonie concertante pour flûte, hautbois, cor et
basson, Concerto pour flûte et harpe). Mais pour Wolfgang, Paris a
changé ; il s’agit surtout du fait que Wolfgang est maintenant âgé de 22
ans et que Paris l’oublié depuis son dernier passage en 1765.
Quelques commandes, quelques pièces écrites pour se libérer (Sonate
pour piano K.310, Sonate pour piano et violon K.304), Mozart a droit à quelques
succès. Mais un souci inattendu va survenir : la maladie et la mort
d’Anna-Maria en juin 1778, à Paris, loin des siens.
Mozart passa six mois de sa vie dans la capitale française et le bilan
est loin d’être glorieux. Pour faire
plaisir à son père, il accepte un nouveau poste à Salzbourg, tout en ayant la
promesse de revoir Aloysia Weber, dont il est amoureux depuis de nombreux mois.
Ainsi quitte-t-il Paris, laissant derrière lui rien d’autre que Six Sonates
pour le violon, non corrigées, entre les mains du graveur. Il repasse par
Munich afin de revoir Aloysia, mais le cœur de cette dernière a eut tôt
fait d’oublier Wolfgang qui subit un réel chagrin devant ce changement soudain.
Il n’a plus désormais qu’une seule perspective : rejoindre Salzbourg après
quinze mois d’absence et d’échecs.
Mozart, Symphonie n°31 "Paris"
Le 15 ou 16 janvier 1779, Salzbourg assiste au retour du fils prodige.
Le lendemain, il est nommé organiste auprès du prince-archevêque de Salzbourg,
auprès duquel il avait démissionné quinze mois plus tôt. Wolfgang a vingt-trois
ans. Ainsi, il est organiste auprès de la Cour et de la cathédrale et reprend
son titre de Konzertmeister ; lui qui aurait tant troqué sa vie
d’exécutant pour celle de Kappellmeister. L’on comprend alors que l’humour de
Mozart n’est pas des plus brillantes.
A Salzbourg est arrivée, fin 1778, une troupe de théâtre dirigée par
M. Boehm (comédien, violoniste et chef d’orchestre). Mozart et Boehm
s’entendront à merveille, à tel point que c’est pour lui que Mozart écrit en
1780 un nouveau singspiel : Zaïde K.344 ou plus exactement le Sérail. La
musique n’est pas terminée qu’il travaille déjà sur Idomeneo. L’année suivante
(1781), il commence l’Enlèvement au Sérail, dont le drame est très proche de
celui de 1780. Après le départ de Boehm, le théâtre sera loué à Emanuel
Schikaneder, le futur librettiste de la Flûte Enchantée, qui fera connaitre à
Mozart les sujets sur Dom Juan et le Barbier de Séville.
En dehors de cela, rien ne
bouge à Salzbourg. Mozart réagit en composant deux symphonies (K.318-319), une
Sérénade (K.320), un Divertimento (K.334), une Symphonie concertante pour
violon et alto (K.364). Mais de l’automne 1779 à août 1780, presque rien n’est
écrit hormis une petite Messe (K.337), des Vêpres et de petits morceaux pour
l’Eglise. C’est un long silence pour ce musicien de vingt-quatre ans. Il
sortira de sa léthargie suite à la commande d’un nouvel opéra pour le
prince-électeur Karl-Theodor : Idomeneo, Re Di Creta ; une œuvre
venant de la pure tradition française qu’il doit écrire dans le style italien
de l’époque.
Il commence à avoir des exigences dramatiques bien précises et semble
trouver pour la première fois une unité entre le drame et la musique. Mozart a
vingt-cinq ans et présente Idomeneo au public le 29 janvier 1781, à Munich.
Couronné de succès, son opéra ne tient pourtant à l’affiche : cette
musique neuve pleine d’audaces n’a pas su conquérir le gros public mais
seulement quelques connaisseurs. Le 29 novembre survient la mort de
l’impératrice Marie-Thérèse ; le prince-électeur de Salzbourg se doit
alors d’être à Vienne.
Le succès d’Idomeneo eut raison de son prince-électeur qui souhaite
désormais que Mozart quitte Munich pour le rejoindre à Vienne.
Le 16 mars 1781, Mozart est à Vienne, sûr de lui, conscient de sa
valeur et prêt à tout pour se libérer de son poste de Konzertmeister à
Salzbourg. Colloredo, qui ne peut souffrir Mozart depuis des années, en profite
pour l’humilier davantage, lui interdisant de se produire à Vienne pour son
compte personnel. Wolfgang, lui, ne l’entend pas de cette oreille et se
rebelle. Pour la première fois, un musicien-serviteur conquiert de force sa
liberté contre son maître. « Aujourd’hui commence mon bonheur » écrit
Wolfgang au soir du 9 mai 1781. En même temps, il se brouille avec son père qui
n’accepte pas sa décision.
Il décide de rester à Vienne, demande toutes ses affaires restées à
Salzbourg et élit domicile chez Mme Weber. Peu à peu, il va être séduit par
Constance… Mais toute liberté à un prix, et la situation de Mozart ne va pas
aller en s’arrangeant. Il reste isolé, ne donne que très peu de leçons, ne se
produit pas au concert…
La chance va heureusement tournée. Gootlieb Stéphanie, inspecteur du
théâtre allemand à Vienne, lui propose un opéra. Peut-être Mozart va-t-il
pouvoir écrire enfin un opéra en allemand, un singspiel. Ce sera l’Enlèvement
au Sérail. Cette œuvre entre dans le cadre précis de l’effort de Joseph II à
promouvoir un théâtre et un art national. La composition et la mise en scène
vont durer une année, du 30 juillet 1781 au 16 juillet 1782. L’Enlèvement au
Sérail suscite des critiques contradictoires lors de la première. Il deviendra
ensuite un succès, repris dans des théâtres de nombreuses Cours, mais n’ouvre
toujours pas les portes de la gloire à son auteur.
Durant cette période, Mozart vit une étape importante dans sa vie
personnelle en tombant amoureux de Constance Weber. Aux côtés de Constance,
Wolfgang va donner libre cours à sa jeunesse et à sa frivolité.
Mozart a ouvert la voie au singspiel et quelques compositeurs ont
cherché à suivre cette voix. Malheureusement, les musiques étaient si médiocres
que Joseph II, influencé par Salieri, dissout l’Opéra allemand. Les troupes
italiennes sont alors réorganisées. Mozart, en constatant le succès de l’opéra
italien, songe alors sérieusement à écrire un opéra italien. Au cours du
printemps 1783, il rencontre l’abbé Lorenzo Da Ponte, le futur librettiste des
Nozze di Figaro, de Don Giovanni et de Cosi fan tutte.
Le 17 juin 1783, un petit garçon naît au foyer des Mozart :
Raimond. Cette même nuit, il achève le Quatuor en ré mineur (K.421), le second
de la série des Six quatuors dédiés à Haydn. Dans les mois qui viennent, son
catalogue va s’enrichir, avec quatre Concertos pour piano, un Quintette pour
piano et instruments à vent, une Sonate pour piano et violon en si bémol, deux
Sonates pour piano.
En septembre 1784, Constance met au monde un second enfant,
Karl-Thomas et les Mozart suivent leur petite vie. A l’automne, la saison des
concerts et des académies prend son essor et Wolfgang doit envisager une saison
de virtuose, mais pas sans nouvelles œuvres, deux concertos pour piano.
Le 14 décembre 1784, il accepte un engagement de la plus haute
importante en adhérant à la Franc-Maçonnerie et se fait initier au grade
d’Apprenti. Il faut cependant noter l’importance des concerts maçonniques de
Mozart lors de ses passages à Mannheim et Vienne. Les mois s’enchainent et se
ressemblent. Wolfgang est surchargé de travail : concerts privés, concerts
par souscription, académies personnelles… Même s’il dispose d’un immense
répertoire, le public réclame toujours de nouvelles œuvres. Mozart atteint
alors l’apogée de sa réputation comme compositeur et virtuose du piano. Il a
désormais une situation enviable. Pourtant, il n’est pas totalement
satisfait : il a envie d’opéra. D’opéra allemand. Il ne sera jamais aussi
patriotique qu’à cette période où il écrit des opéras italiens.
D’ailleurs au printemps, il commence à envisager de mettre en musique
une comédie française qui fit scandale, déclencha de nombreuses polémiques et
se fit interdire à Paris pendant trois années : la Folle journée ou le
Mariage de Figaro. Parallèlement à l’écriture de ce nouveau projet, en
collaboration avec Da Ponte pour le livret, il compose un Quatuor pour piano et
cordes en sol mineur.
Au début 1786, il reçoit une commande de Joseph II pour un singspiel
en un acte. L’ouvrage est composé en janvier et représenté le 7 février, en
même temps qu’un opéra de Salieri « Prima la musica e poi le
parole ». Encore deux concertos pour
piano (K.488 et K.491) et le jour de la première des Nozze di Figaro
arrive, le 1er mai 1786 au Burgtheater. Un véritable succès. Mais en
vue de la polémique de l’œuvre de Beaumarchais, Mozart n’aura plus de commande
d’opéra de Vienne. Il a trente ans, compose beaucoup (Concerto pour piano
K.503, Symphonie « de Prague ») mais sent les difficultés. Après les
retombées mitigées des Quatuors dédiés à Haydn et des Nozze, il garde quand
même son espérance, car les Nozze représentées à Prague furent un tel succès
que le comte Johann Thun l’invite à Prague en ce début 1787 où il reçut un
accueil chaleureux et la commande d’un opéra.
Cette année sera celle des Quintettes à cordes, composés au printemps.
Le 10 avril, une étonnante rencontre eut lieu : un jeune musicien, âgé de
seize ans et organiste en second du prince-archevêque de Cologne, arrive à
Vienne pour parfaire son éducation musicale et se rend chez Mozart. Ce dernier
en l’entendant jouer dit vivement : « Faites attention à celui-là, il
fera parler de lui dans le monde ». Ce n’est autre que le jeune Ludwig von Beethoven qui souhaitait
quelques leçons de Mozart. Ce dernier qui accueillait d’habitude ses élèves
avec chaleur (Hummel par exemple) réserva cependant un accueil froid à Beethoven,
qui depuis n’a jamais pu cacher sa déception. Une rencontre manquée pour ces
deux génies.
Le 28 mai 1787, Léopold Mozart meurt subitement. C’est Salzbourg et
toute son enfance qui disparait à son horizon car il ne gardera aucune relation
avec le seul membre encore vivant de sa famille, sa sœur Nannerl.
Les mois passent et Mozart doit bientôt livrer son opéra pour Prague.
Il refait appel à Da Ponte pour Don Giovanni. Beaucoup d’encre a coulé pour ce
chef-d’œuvre. L’un des événements les plus marquants fut la composition de
l’Ouverture quelques heures seulement avec la première représentation et que
les musiciens déchiffrèrent « en live ». Prague acclama Mozart et Don
Giovanni. S’il avait voulu, Wolfgang aurait pu faire carrière à l’opéra dans la
ville de Prague, mais il y renonça et à mi-novembre 1787 il était de retour à
Vienne.
Trois semaines plus tard, Joseph II confère à Mozart le titre porté
par Gluck de « Compositeur de la Chambre impériale et royale ».
Toutefois, les appointements ne sont pas à la hauteur de ses espérances et
hormis le titre honorifique, cette situation est plutôt décevante, d’autant
plus que Constance vient de mettre au monde une petite fille, source de
dépenses supplémentaires. Les choses ne s’arrangèrent pas : Don Giovanni,
représenté enfin à Vienne, reçut un accueil très froid. Il vient de perdre une
partie très importante et son prestige de grand musicien dans les milieux
aristocratiques. Désormais pour Vienne, Mozart ne compte plus.