Les années noires :
Mozart vit seul, isolé. Il ne tarde pas à déménager dans une petite
maison des faubourgs de Vienne (juin 1788). Mais le couple n’a plus d’argent et
multiplie davantage les dettes, vivant au gré des événements. Durant l’été
1788, Mozart sera pris d’une frénésie créatrice : le Trio en mi (K. 542),
la Sonate en ut (K.545), la Sonate en fa (K.547), le Trio en ut (K.548), le
Divertimento en mi bémol (K.563), le Trio en sol (K.564), les dernières
Symphonies (K.543-550-551 « Jupiter »). A l’automne, il est épuisé et
découragé. Il ne compose rien d’autre qu’une Sonate pour piano (K.570) entre
novembre 1788 et avril 1789. Parallèlement il mène un travail de réhabilitation
des œuvres de Bach et Haendel pour le compte de van Swieten qui souhaite voir
les grands oratorios avec une orchestration au goût du jour. Mozart est ainsi
charger de ré-instrumenter les partitions de certains grands oratorios de
Haendel, compositeur pour lequel Wolfgang a toujours exprimé une profonde
admiration. Ce travail est malheureusement maigrement payé et dès mars 1789,
Mozart doit à nouveau emprunter de l’argent.
Mozart à Berlin
En avril 1789, il se rend à Berlin avec son élève le prince Lichnowsky
et oublie un peu ses soucis pendant deux mois. A son retour, Joseph II le
presse pour un nouvel opéra, dont le sujet lui est cette fois imposé. Il
collabore encore avec Da Ponte et en quelques mois, la partition de Cosi fan
tutte est prête. Mozart espère enfin arranger sa situation financière mais
Constance accouche encore d’une petite fille. Elle est leur cinquième enfant et
la quatrième est décédée. Mozart engloutit encore toutes ses ressources dans
les notes des médecins pour rétablir Constance, très affaiblie.
Le 26 janvier 1790, Puchberg et Haydn, les deux amis de Wolfgang,
assistent à la première de Cosi fan tutte. Le succès est honnête même si l’on
ne crie pas au chef-d’œuvre. Le lendemain, Mozart a trente-quatre ans. C’est la
dernière année qu’il lui reste à vivre en entier ; il n’achèvera pas 1791.
En février 1790, l’empereur Joseph II meurt. En raison du deuil
officiel, les théâtres sont fermés jusqu'au 12 avril, ce qui représente une
véritable catastrophe pour Mozart. Très vite, Léopold II lui succède et avec
lui nombre de changements. Au contraire, il prend le contrepied de Joseph et se
rapproche de la conduite de Marie-Thérèse, en n’accordant qu’un bas intérêt à
la musique. Mozart conserve néanmoins son poste et ses maigres appointements,
et espère l’obtention d’un poste rémunérateur à la Cour. Cependant, sa
situation se détériore de plus en plus : sa santé est mauvaise et
Constance est bien loin de lui en cure à Baden. Il n’a plus d’argent et se
retrouve dans l’obligation de donner à nouveau des leçons ; tâches qu’il
exècre à un plus haut point.
De janvier à avril, il n’écrit rien. En mai et juin, il compose deux
Quatuors commandés par le roi de Prusse (K.589-590) ; ses deux derniers
quatuors. Il devait en composer six, mais pressé par le besoin d’argent, il
cherche à les graver et les laisse pour un prix dérisoire. Découragé, il
n’écrit plus rien à nouveau.
Septembre et octobre 1790, il effectue un voyage à Francfort, persuadé
de trouver gloire et fortune. La désillusion est sévère. Mozart est souffrant
et sait qu’il ne pourra pas rembourser ses dettes. A Francfort, on vend des
mouchoirs sur lesquels sont imprimés les Droits de l’Homme ; partout
circulent les « Vivre libre ou mourir ! ». Les milieux
intellectuels et artistiques sont les premiers à s’enthousiasmer. A son retour,
en novembre, Mozart a retrouvé son ardeur créatrice et va accumuler ses chefs-d’œuvre.
Constance est de nouveau enceinte, et bien que cette nouvelle soit
accueillie avec modération, Mozart se remet au travail avec courage. Il cherche
des élèves, bien que cette tâche le rebute, et compose un nouveau Quintette à
cordes (K.593) pour répondre à une commande de Johann Tost, un franc-maçon et
violoniste amateur qui avait déjà commandé une série de Quatuors à Haydn.
Mozart, portrait posthume par Barbara Krafft (1819)
1791 : Mozart entre dans sa dernière année. Le 5 janvier, il
écrit son dernier Concerto pour piano (K.595), un vue d’un prochain concert,
puis se concentre sur sa charge officielle de pourvoyeur du carnaval. Il
interprètera son concerto le 4 mars lors d’un concert d’un confrère car il sait
qu’il ne pourra donner de concert à son propre bénéfice cette année. Alors qu’il
pense avoir perdu les faveurs de l’aristocratie, lui vient une proposition d’un
théâtre populaire du faubourg. Pour cet opéra, Mozart va collaborer avec
Schikaneder, qu’il connait très bien depuis Salzbourg. Au printemps 1791, les
deux amis tracent les premières esquisses de la Flûte Enchantée, un singspiel.
Parallèlement, Wolfgang donne un autre Quintette pour Johann Tost (K.614).
Il se retrouve bientôt seul, abandonné par Constance retournée en cure
à Baden. Son quotidien est devenu triste, et il semble démuni de force et de
courage. Le meilleur de lui-même, c’est à sa Flûte Enchantée qu’il le donne.
Schikaneder, comprenant la détresse et la solitude de son ami, l’emploie à le
sortir de son logement et l’entoure de ses amis. Le 26 juillet, Constance met au
monde leur sixième enfant, Franz-Xaver. Il sera, avec son frère, le seul à
survivre.
Toujours en fin juillet, Mozart reçoit une commande des plus
étranges : un inconnu lui demande un Requiem que Mozart doit écrire selon
son inspiration sans chercher le nom du commanditaire. Etant donné sa situation
financière, il ne peut refuser et se met immédiatement à la tâche. Il doit
néanmoins abandonner son travail car début août lui parvient une autre
commande, très urgente : le Théâtre National de Prague le charge de mettre
en musique l’opéra destiné à fêter le couronnement de Léopold II comme roi de
Bohème, le 6 septembre.
Mozart est de plus en plus surmené et n’a que trois semaines pour écrire
une œuvre dont le sujet est imposé : la Clemenza di Tito. A son arrivée à
Prague, il tomba malade mais ne cessa son travail de força. Le 6 septembre,
l’opéra fut représenté et recueilli des critiques décevantes. Le 30 septembre,
Mozart, de retour à Vienne, dirige la première de la Zauberflöte. Entre ces
deux dates, il n’a pu se reposer, devant l’urgence des tâches créatrices à
entreprendre, mais au moins sa Flûte Enchantée est un vrai succès, et pourtant
donnée dans un petit théâtre de faubourg.
Mozart est de nouveau seul à Vienne. Constance est retournée en cure à
Baden en laissant à Vienne son époux physiquement épuisé. Ragaillardi par le
succès, Mozart compose sans relâche. Il ne s’occupe plus de son étrange
commande et de son messager, et écrit entre le 1er et le 8 octobre,
un Concerto pour clarinette, destiné à Stadler. Vers la mi-octobre, Constance
est de retour à Vienne et s’alarme aussitôt de l’état de santé de Wolfgang. A
ce moment-là, il a honoré toutes ses commandes et peut alors se concentrer sur
le Requiem.
Mais il est tellement au plus bas qu’il sent que cette œuvre sera son
chant du cygne. La vie est injuste car la chance commence à lui sourire, des
propositions lui venant de Hollande, d’Angleterre ou de Hongrie où des nobles
lui font des offres de rente annuelle afin qu’il puisse écrire ce dont il a
envie. Malheureusement, il est trop tard.
Il interrompt une nouvelle fois son Requiem pour une nouvelle
commande : une Cantate maçonnique. Elle sera chevée le 15 novembre. Cette
Cantate de l’Eloge de l’amitié (Das Lob der Freundschaft) est la dernière œuvre
notée par Mozart dans son catalogue. C’est elle qui constitue le dernier mot de
Mozart, et non le Requiem.
Le 20 novembre, Mozart est au plus mal. D’après les médecins, la
maladie semble grave. Huit jours plus tard, ils affirment que sa maladie n’est
plus guérissable. Mozart est perdu, et semble le savoir. La pensée du Requiem
le poursuit, davantage par exigence artistique que par voie testamentaire. Son
état est loin de s’améliorer. Mozart, à l’âge de trente-cinq ans, s’éteint le 5
décembre 1791 à minuit-cinquante-cinq.
Mozart, manuscrit du Requiem "Dies Irae"
Mozart est couvert de dettes et le foyer vit dans la misère. Aussi un
enterrement peu couteux est organisé : un convoi de troisième classe et la
fosse commune, après un bref service religieux à la cathédrale Saint-Etienne,
sans messe et sans musique. Pas plus que de fortune Mozart ne laissera de
corps. Il laisse une œuvre et sa gloire et bien peu en connaissent le prix.
Quand à sa descendance, les deux garçons mourront tous deux
célibataires et sans postérité. Karl n’aura aucun talent musical et entrera
dans l’administration ; il mourra à Milan en 1859. Quant à
Franz-Xaver-Wolfgang, il écrira quelques œuvres, signées Wolfgang Amadeus
Mozart, tentera sa chance comme pianiste et chef d’orchestre et mourra,
prétentieux et minable, en 1844 à Karlsbad. Ainsi finit la famille Mozart.