Alban Berg (1885 - 1935)
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Compositeur incontournable du XX° siècle, Alban Berg fonde avec Webern et Schoenberg l’Ecole de Vienne ; à eux trois, ils vont révolutionner la musique au début du siècle. Féru de littérature et de poésie, Berg consacre la moitié de son œuvre à la voix au travers de nombreux lieder et deux opéras (Wozzeck, Lulu), véritables
chefs-d’œuvre du XX°
siècle.
Bien que léguant un catalogue d’œuvres restreint mais de grande qualité, Berg fait preuve d’une expression intense quelque soit le langage utilisé (tonal, non-tonal ou dodécaphonisme) et s’insère néanmoins dans une tradition rassurante. Cependant, le plus abordable des trois viennois n’en est pas moins le plus complexe, tant par sa musique à
analyser
que sa pensée à interpréter.
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Enfance :
Né en 1885 à Vienne, Alban Berg mène une enfance heureuse. Issu d’un père commerçant, possesseur de plusieurs établissements qui assure l’aisance de la famille, et d’une mère passionnée de littérature et de musique, il mène une existence paisible, et comme beaucoup dans
ces cas-là, on ne connaît pas grand-chose sur ses premières années. Il suivra sa scolarité jusqu’au baccalauréat en 1904 mais non sans difficultés ni redoublements.
C’est en 1900 que ses penchants musicaux s’affirment de plus en plus ; c’est d’ailleurs cette année qu’il écrit ses toutes premières compositions, des Lieder pour voix et piano, destinés à la consommation familiale. A cette époque, il a déjà des goûts musicaux affirmés, appréciant particulièrement Schumann,
Brahms, Wagner, Grieg et Gustav Mahler (ce dernier dirige notamment sa quatrième symphonie en 1902-1903).
C’est cependant l’année 1904 qui va être déterminante pour Berg : il doit travailler et gagner de l’argent car la situation familiale l’exige – il restera dans l’administration jusqu’en 1906 – et surtout il rencontre Schoenberg.
Apprentissage :
Suite à une annonce passée dans la Neuen Musikalischen Presse du 8 octobre 1904 proposant « d’enseigner aux musiciens de profession et aux amateurs les bouleversements et les nouvelles possibilités dans les domaines théoriques de la musique. Enseignants : Arnold Schoenberg (harmonie, contrepoint),
Alexander von Zemlinsky (enseignements des formes et composition), Dr Elsa Bienenfeld (histoire de la musique) ». Il n’en faut pas plus à Berg : il décide de montrer à Schoenberg ses Lieder. Il commence quelques jours plus tard et travaille d’arrache-pied. Il écrit alors beaucoup : plus de 80 lieder et surtout la Sonate pour piano op.1 (1907-1908), qui résume à elle seule l’enseignement du maître.
La situation de Berg, précaire, va être bouleversée par un événement important : le décès de sa tante Julie Weidman apporte à la famille, en héritage, un important patrimoine immobilier. Berg en aura la gestion, lui permettant de démissionner de l’Administration.
Libéré de ses obligations financières, Berg peut désormais se vouer intégralement à la musique et participe activement à la vie musicale du cercle de Schoenberg. L’année suivante, il rencontre sa future femme, Hélène Nahowsky, qu’il n’épousera qu’en 1911.
L’enseignement de Schoenberg touche à sa fin : le prochain opus de Berg, le Quatuor op.3 ne sera plus l’œuvre d’un élève (1910). Schoenberg va à cette époque se détacher de ses amis et de la vie musicale viennoise au profit de Berlin ; à cela s’ajoute la mort de Mahler le 11 mai 1911.
Berg, à 26 ans, est devenu un homme et doit faire face à ces difficultés. Poussé par la nécessité matérielle, il va alors accomplir maints travaux car il va vivre de la musique et non de l’immobilier ; Schoenberg recommande son protégé à Universal pour effectuer des travaux de transcription. De 1910 à 1913, Berg compose
trois œuvres : les Cinq Lieder op.4 pour soprano et orchestre, les Quatre Pièces pour clarinette et piano op.5 et les Trois Pièces pour orchestre op.6. L’opus 4 a la particularité d’avoir suscité un célèbre scandale musical.
La relation maître-élève qui semblait si bien fonctionner durant toutes ces années, va subir une crise dans les années d’avant-garde ; Schoenberg ne va cesser de se répandre en remarques acrimoniques envers son ancien élève, lui reprochant de ne pas assez composer et sinon de trop petites choses. Le malaise perdurera jusqu’en 1915.
Wozzeck :
Entre le moment où Berg voit la pièce de Büchner le 5 mai 1914 et la date de création de l’opéra qu’il en tire (14 décembre 1925), il s’écoule plus de dix ans. Un moment long donc, d’autant plus qu’il s’agit d’une période difficile ; Berg s’engage sous les drapeaux avec toute la réalité-militaire
sur cela implique – en raison de sa santé fragile et du régime militaire strict, il est déclaré inapte aux métiers d’armes et reste assigné à Vienne au ministère de la Guerre dans les bureaux jusqu’à sa libération le 6 novembre 1918.
Dès février 1917, Berg parle d’écrire un opéra, Wozzeck, d’après la pièce de Büchner. Divers travaux de copistes, la gestion de Verein für musikalische Privatauffürungen (association pour la connaissance et la diffusion de la musique nouvelle créée par Schoenberg), ou une monographie sur Schoenberg le retardent dans l’écriture
de son œuvre. Se livrant également à quelques travaux musicographiques, Berg se voit confier la rédaction en chef des Musikblätter.
Avec toutes ces activités, Berg est fatigué et doit partir un temps en maison de repos (1920). Toutefois, il ne se remet pas tout de suite à la composition, mais se trouve une nouvelle fois sollicité pour écrire un livre sur Zemlinsky. C’est en 1921 que tout va s’accélérer : il travaille énormément et à la mi-octobre, il met
un point final à Wozzeck. Après maints tumultes pour le faire représenter, Wozzeck se révèle être un véritable succès, et permet à Berg de s’installer définitivement dans le monde musical.
Un compositeur reconnu :
L’année de création de Wozzeck, Berg entame le Concerto de chambre en hommage à Schoenberg et entreprend la Suite Lyrique. Ces trois partitions forment la grande « trilogie classique » du catalogue bergien. A cette même époque, Schoenberg fait part à ses élèves
de sa nouvelle découverte : le dodécaphonisme ; Berg l’utilisera pour écrire son Concerto. L’œuvre sera dédiée à Schoenberg et sa création à Berlin en mars 1927 lui vaudra un grand succès.
La Suite Lyrique quant à elle est l’œuvre de Berg qui dégage le plus haut potentiel émotionnel et une architecture de grande rigueur. Créée le 8 janvier 1927 à Vienne, elle connue aussi un succès éclatant.
Berg a quarante-cinq ans. Sa vie est sans remous apparents. Il donne maintenant des cours particuliers à des élèves choisis, tel Adorno. Il lui reste sept ans à vivre et il songe depuis deux ans à l’écriture d’un nouvel opéra, Lulu. Les premiers travaux datent de l’été 1928, mais l’avancée progresse lentement, car il se
trouve confronté à un problème majeur : il se demande comment écrire une telle œuvre à partir d’une série unique.
Berg se fixe 1932/1933 comme date-butoir pour terminer Lulu mais ne put s’y tenir. Il espère l’achever pour l’été 1934, mais entre temps, le virtuose Louis Krasner lui commande une œuvre pour violon. Sa situation matérielle le pousse à accepter, mais le décès de Manon Gropius le 22 avril
1935, la fille de son amie Alma Mahler, le détermine spirituellement.
Ce sera le Concerto pour violon et orchestre « à la mémoire d’un ange », crée le 19 mars 1936. Cette œuvre dodécaphonique dément la réputation de Berg à écrire lentement car l’œuvre fut composée en quatre mois seulement.
Le Concerto sitôt achevé en août 1935, il se remet à Lulu dont il lui reste à travailler l’instrumentation. Mais Berg se retrouve malade, atteint d’une infection mal soignée. En quelques semaines, il se dégrade physiquement et le 24 décembre 1935, Alban Berg s’éteint.
Dans ses papiers, plusieurs manuscrits ont été trouvés : un troisième Quatuor à cordes, une pièce de chant avec piano, une symphonie et un projet de composition de musique de film. Toutefois, Lulu n’est pas achevé, et sa femme interdit publiquement et ce jusqu’à sa mort
que l’opéra soit terminé.
En 1979, la convention exige de « boucler » le troisième acte ; jusqu’à présent Lulu était donné en représentation avec seulement ses deux premiers actes. L’orchestration fut laissée aux soins de Friedrich Cerha, et la version complète de Lulu fut créée le 24 février 1979 à
l’Opéra de Paris sous la direction de Pierre Boulez.
Un nouveau langage :
Berg a su faire évoluer son langage musical, allant du post-romantisme des premiers lieder au dodécaphonisme du Concerto « à la mémoire d’un ange », mais on y trouve le même modèle viennois tout au long de ces douze œuvres, car il n’eut pas le temps d’en écrire plus.
Berg reçoit un héritage (Mozart, Beethoven, Schumann, Brahms, Wagner, Mahler), l’assume et l’intègre complètement à sa logique compositionnelle. De ces influences, il retient le souci formel et la recherche d’une sonorité orchestrale nouvelle ; ce qui
explique peut-être toutes ces citations marquant la volonté de s’ancrer tout de même dans la tradition.
Même ses œuvres révèlent l’appartenance à une forme traditionnelle préétablie ; par exemple les scènes de Wozzeck sont conçues sous forme de suite, passacaille, rondo ou rhapsodie où le second acte ressemble à une vaste symphonie en cinq mouvements. Mais le tout révélant une écriture atonale libre
ou dodécaphonique, parfois mêlant la série et la tonalité. Dans Lulu, il ira plus loin que ses contemporains en découvrant les premières méthodes de permutations de la série de douze sons permettant de donner naissance à d’autres séries. Le procédé sera repris des années plus tard par Boulez ou Barraqué.
De l’Ecole de Vienne, Berg reste le compositeur le plus abordable par son affiliation à la tradition et l’une des voix les plus originales du XX° siècle. L’ensemble de sa production fait montre d’un romantisme et d’un sentimentalisme révélateur de l’expressionnisme schoenbergien. Sa musique est profondément
théâtrale (ses derniers opus en particulier) voire autobiographiques (Suite Lyrique, Lulu).