Accueil
Compositeurs
Hist. de la musique
Analyse
Liens
Partenaires
Contact

 

 

Robert Schumann (1810 - 1856)

 

Afficher l'image d'origine

Compositeur et critique musical, Robert Schumann incarne à lui seul l’homme romantique. Partagé toute sa jeunesse avec la littérature, il s’intéresse à Goethe, Schubert, au fantastique. Doté de la conscience du « double », ses problèmes psychiques l’affectent très tôt dans un bouleversant déchirement intérieur (être poète ou musicien, signer sa musique tantôt par Eusébius « le tendre » tantôt par « Florestan » le sauvage) et le mènent à la folie des dernières années qui suscitent un internement en asile psychiatrique. Cela sans compter sa passionnante histoire d’amour avec la grande virtuose du piano Clara Wieck, devenue après maintes péripéties Madame Robert Schumann et mère de huit enfants.

Si romantique qu’il soit, Schumann l’est également par sa musique. Maître incontesté de la petite forme, il se consacre pendant très longtemps à des pièces pour piano, de la musique de chambre ou des lieder, s’autorisant à la grande forme de la Symphonie dans les dernières années. Original et audacieux, Robert Schumann laisse derrière lui une musique à son image : imaginative, irréaliste, grandiloquente et énigmatique par son monde intérieur.

 

 

Les années d’apprentissage :

Robert Schumann est né le 8 juin 1810 à Zwickau. Sa date de naissance est déjà un pressentiment de son entité, avec son signe astral en Gémeaux, laissant présager de la double personnalité du musicien. Benjamin d’une famille de cinq enfants, ses parents vont l’influencer malgré eux : Christina Schnabel est musicienne amateur et August Friedrich est libraire et traducteur de Byron et W. Scott, deux héros du Romantisme littéraire. L’on comprend mieux alors comment Robert a hésité entre musique et littérature et pourquoi elles furent ses deux passions tout au long de sa vie.

 

                Maison natale de Schumann à l'époque où il est né

 

                  Maison natale de Schumann aujourd'hui

 

Enfant, Robert de se rend pas compte de l’univers qu’il rencontre dans les livres. Il est un enfant insouciant et paisible. Il s’initie à la musique, pour laquelle il paraît être doué. A l’âge de neuf ans, il a son premier choc musical, son père l’ayant emmené au concert de Moscheles, l’un des plus prodigieux pianistes de son époque. A l’issu de ce concert, Robert demande un piano ; cet instrument devient alors pour lui un confident, un fidèle interprète de ses humeurs changeantes. Très vite, il fonde au Collège un petit orchestre avec ses camarades de classe et en même temps une société littéraire. Il se passionne alors pour Mozart, Haydn, Weber et à la fois pour les héros de Byron, Goethe (Faust en particulier), Schiller et surtout Jean-Paul Richter à qui il voue un véritable culte. Ainsi jusqu’à l’âge de quinze ans, Schumann se forme en toute liberté et forge sa sensibilité. 

 

                                                Robert Schumann jeune

 

A l’adolescence en revanche, le jeune Robert est marqué par quelques drames familiaux tels que le suicide de son unique sœur Emilie et le décès de son père à l’âge de seize ans. C’est à cette époque qu’il commence à tenir son journal intime : « L’extrême jeunesse connaît de ces instants où le cœur ne peut trouver ce qu’il désire car, obscurci par une Sehnsucht (aspiration) inexprimable, il ne sait ce qu’il cherche. C’est quelque chose de muet et de sacré dans lequel l’âme pressent son bonheur lorsque l’adolescent interroge rêveusement les étoiles » (Journal, 1827). Dans ce simple extrait, l’on retrouve les deux mots-clés chers à Schumann et qui compose l’essence de son inspiration artistique : aspiration et interrogation. L’insouciant Robert devient alors renfermé, indifférent et mélancolique.

 

Lorsque son père était encore en vie, il avait deviné le grand talent de son fils pour la musique : il était même rentré en contact avec Carl Mari on Weber mais celui-ci avait décliné l’offre, refusant de prendre en charge le jeune Robert. Un fois veuve, Johanna Schumann souhaitait un avenir stable pour son fils et l’inscrit dans une école de droit (1828). Cela pourrait correspondre à Robert pour qui la dualité de choisir entre la littérature et la musique semblait dévorante. Aussi, devant l’impossibilité de faire un choix, il se conforme à l’idée de devenir juriste et part pour Leipzig. Toutefois, il se rend compte que le droit l’ennuie vite. Il suit les cours, travaille par accès mais machinalement. Il se tient à l’écart de ses camarades de classes et se retranche dans ses rêveries et sa musique. Pourtant, un nouveau monde musical s’ouvre à lui car à Leipzig il peut fréquenter les sociétés musicales, les concerts du Gewandhaus et l’église Saint-Thomas où se perpétue la tradition de Jean-Sébastien Bach. A cette époque, il rencontre Frédéric Wieck, l’un des plus illustre pédagogue du piano à Leipzig et père de Clara, une jeune virtuose du piano âgée de onze ans et future épouse de Robert. Ainsi, en 1830 il quitte définitivement le droit et devient l’élève de Wieck à temps complet.

 

                                                                     Clara Wieck (1832)

 

Commence alors un apprentissage lourd et intransigeant mais Schumann se trouve « rafraîchi par le souffle d’une vie nouvelle ». Cela ne dure pas longtemps et Schumann se trouve de nouveau en proie à des doutes musicaux où s’affronte une nouvelle fois la dualité schumanienne de devenir pianiste ou compositeur. Mais Schumann s’acharne. Le piano n’est pas assez docile à son goût, la technique est rebutante, lente à venir. Il veut brûler les étapes. Alors il a la drôle d’idée d’assurer l’indépendance de son quatrième doigt et de travailler avec le médius de sa main droite maintenue immobile par une ligature. Au printemps 1832, sa main est paralysée. Il essaie tous les traitements inimaginables jusqu’en 1834, mais son doigt reste paralysé. Schumann ne sera jamais virtuose. Le destin a réglé pour lui son problème de dualité musicale. « Ma vie commence au moment où j’ai pu voir clair en moi et mesurer mon talent, où j’ai décidé de me consacrer à l’Art, la seule voie qui me permette d’employer mes forces ». L’Art sera maintenant pour Schumann la composition.

Si Schumann ne peut être un virtuose du piano, cet instrument va néanmoins devenir son médiateur dans la composition : il écrit vingt-neuf œuvres en neuf ans, uniquement destinées au piano. Plus tard viendra le lied, puis la musique de chambre et enfin la musique symphonique et les grandes œuvres lyriques.

 

La confidence du piano

Ces premières années dédiées entièrement à la composition voient naître des chefs-d’œuvres du piano romantique : les Variations Abegg op.1, Papillons op.2, Toccata op.7, Davidbündlertänze op.6, Etudes symphoniques op.13, Carnaval op.9, Kreisleriana op.16 … « Je m’amuse à trouver des formes nouvelles. D’ailleurs, depuis un an et demi, je suis en pleine possession de mes moyens ; il me semble avoir pénétré beaucoup de mystères » (à Clara, 1838). Mais « le Romantisme ne s’exprime pas seulement dans la forme ; si le compositeur est poète il s’exprime aussi autrement. Je te prouverai tout cela un jour avec mes Scènes d’enfants ». Le compositeur pense donc comme un poète, un « Poète des sons » comme l’exprimait déjà Beethoven quelques années plus tôt. C’est pourquoi le piano est l’instrument le mieux choisi pour réaliser sa double aspiration à la musique et à la poésie. Toute sa vie, le piano sera son miroir, son refuge intérieur, le lieu de ses démons et de ses doubles…

 

Toujours en proie à des pulsions littéraires, Schumann décide de lier la musique à la littérature en écrivant sur la musique. C’est ainsi qu’il devient rédacteur de l’Allgemeine Musikalische Zeitung. Il y met déjà en scène Eusébius et Florestan (ses doubles littéraires qui s’affrontent immanquablement sur le papier). Toutefois, sa fameuse critique de l’opus 2 de Chopin « Chapeau bas Messieurs, un génie ! » lui vaut la porte de la revue ! Trois ans plus tard, grâce à l’appui de ses amis et de nombreuses personnalités musicales, Schumann fonde sa propre revue : la Neue Zeitschrift für Musik (Nouvelle Revue de la Musique) dont le premier numéro paraît le 3 avril 1834. Souhaitant une revue combattante, il y mettra dix années de sa vie avec tous les acharnements possibles et inimaginables. Interrompant la critique de 1844 à 1853, il signera un article retentissant « Voies nouvelles » en révélant le nom d’un jeune compositeur, Johannes Brahms. Cet article prouve que Schumann n’avait rien perdu de sa combativité durant toute ses années, au moment où sa folie est en perpétuelle croissance…

 

En 1833, Schumann traverse de nouveau un crise dépressive. Il perd un de ses frères, Julius, puis sa belle-sœur Rosalie (la femme de son frère Karl qu’il chérissait tendrement) quelques semaines plus tard. « Dans la nuit du 17 au 18 octobre, j’eus soudain la pensée la plus terrifiante qui puisse assaillir un être humain et que le Ciel vous envoie pour vous punir : l’impression de perdre la raison. Cette impression s’empara de moi avec une telle violence que prière et consolation, de même qu’ironie ou raillerie, semblèrent complètement vains. Cette angoisse me fit aller de ville en ville, je perdais le souffle quand je me disais : « Et si tu allais ne plus pouvoir penser ! » Clara, celui qui a souffert un tel écrasement ne connaît plus aucune peine, aucune maladie, aucun désespoir » (Lettre à Clara, 11 février 1838). A travers ce récit et des passages de son journal, l’on apprend qu’il avait voulu de se jeter par la fenêtre, mettant ainsi à nu les premiers symptômes de sa folie naissante.          

Toutefois, en ces moments de doutes et de recherches intérieure, Schumann va trouver un puissant réconfort en la présence de Clara Wieck, la fille et jeune virtuose de son professeur. « Je pense à vous, pas comme un frère à une sœur, ni comme un ami à une amie, mais comme un pèlerin de la Madone ». Clara a alors treize ans.

Malgré tout, Schumann ne tient pas compte de ses sentiments et se fiance à une autre jeune pianiste, Ernestine von Fricken pour laquelle il composera le Carnaval op.9. Le père de cette jeune femme fournira même à Schumann le futur thème des Etudes symphoniques op.13. Pourtant, Schumann met un terme à cette relation un an plus tard.

Le temps passant, les séparations faisant, Robert éprouve des sentiments de plus en plus passionnés envers la jeune Clara. Il comprend réellement son amour en avril 1835 lorsque Clara revient d’une tournée ; elle n’a que seize ans. « Tu n’étais plus une enfant avec qui j’aurais pu rire et jouer, tu disais des choses raisonnables et dans tes yeux je vis briller un secret et profond rayon d’amour ». Depuis, Clara sera au centre de la vie de Robert.

 

                                                              Clara Wieck à l'âge de seize ans

 

Evidemment une telle idylle ne pouvait être bien vue du père Wieck, bien que celui-ci apprécie beaucoup Schumann. Cela pris même des proportions aggravantes, Clara se voyant interdire de fréquenter le compositeur. Aussi, les deux amoureux n’eurent d’autres choix que de se voir en cachette, réduisant leurs échanges secrets au gré des tournées et de la volonté de Wieck. En 1836, Wieck réagit violemment à l’idylle des jeune amants : il envoie Clara à Dresde, la première des longues séparations suivantes qui vont pendant quatre ans éprouver leur amour. Toute cette période (1836-1840) fut très difficile pour Robert qui lutta sans merci pour Clara, alternant entre espoir et souffrance. Cela va sans dire que sa créativité musicale en fut particulièrement affectée.

 

Musicalement, Schumann se trouve également à un tournant. Il se retrouve presque emprisonné dans le moule des formes traditionnelles. Déjà avec la Sonate en fa dièse mineur op.11 (1833), dédiée à Clara, l’inspiration musicale de Schumann explose avec une telle violence que la forme pure de la sonate ne peut la contenir. L’œuvre se veut davantage rhapsodique. Pour donner prise à son univers fantasque et lyrique, il agrandit les formes architecturales : sa Fantaisie op.17 (1836) est une œuvre colossale pour son titre et fait éclater le cadre formel qu’elle porte. Composée durant cette période de fol désespoir, elle est une des œuvres les plus belles, les plus douloureuses qui existent du répertoire pianistique. Désormais pour Schumann, le fond crée la forme.

Cependant, cette période est riche en amitié pour Schumann : il se lie avec Mendelssohn (directeur de l’orchestre de Gewandhaus de Leipzig), Chopin et bientôt Berlioz. En se rendant à Vienne – il espérait y installer sa revue musicale et s’éloigner de Wieck – il fait la connaissance de Ferdinand Schubert, le frère de Franz. Chez ce dernier, il fait la découverte d’un manuscrit inédit, la fameuse Grande Symphonie en ut majeur de Franz Schubert. Il l’emporte à Leipzig, la donne à Mendelssohn en lui demandant d’en donner la première exécution, qui aura lieu l’année suivante. Ce séjour viennois s’avère bien décevant pour Schumann : en réaction il écrit le Carnaval de Vienne (Faschingsschwank in Wien op.26, 1839). Cette pièce marque la fin de la première période du piano schumannien.

 

                     Schumann en 1839

                                                                                   Clara Wieck avant son mariage          

 

En 1839 et après maintes tentatives pour convaincre Wieck, Schumann fait une dernière requête pour obtenir Clara. Mais « Wieck ne veut avoir aucun rapport avec Schumann ». Clara n’a d’autre choix que demander une requête, avec Robert, au Tribunal afin d’autoriser leur mariage (16 juillet 1839). « Aujourd’hui, j’entre dans ma vingt-neuvième année ; sans doute la plus grande partie de ma vie est-elle derrière moi. Je ne vivrai pas très vieux, je le sais avec certitude : ce que j’ai dû subir pour toi, mes grandes souffrances, m’ont déchiré. Mais c’est encore toi qui m’apporteras la guérison et la paix ».

A partir de maintenant, la joie va entrer peu à peu dans la vie de Schumann…

 

La voie de la voix

Les audiences sont éprouvantes pour tout le monde. En réaction, Schumann se lâche dans la composition : « Je compose en ce moment beaucoup de musique, comme toujours en février. Tu vas t’étonner de tout ce que j’ai écrit pendant ton absence – ce ne sont pas des morceau de piano, mais je ne veux pas encore te dire quoi (…) De puis hier matin, j’ai écrit vingt-sept pages de musique dont je ne puis te dire que ceci : c’est qu’en les composant, la musique me tuent en ce moment, je sens que j’en pourrais mourir. Ah, Clara, quel bonheur divin d’écrire pour le chant ! J’en ai été trop longtemps privé ».

C’est une éruption musicale sans précédent pour Schumann : en 1840, plus de cent-trente lieder voient le jour. Au cours de cette année, il reçoit le titre de Doctor Honoris causa en philosophie, décerné par l’Université d’Iéna. Cette récompense alliée à d’autres témoignages (Mendelssohn) s’élèvent en sa faveur lors de la dernière audience au Tribunal. Le 1er août 1840, le Tribunal autorise enfin le mariage de Clara et Schumann. « Quand nous serons devant l’autel, je crois que jamais « oui » n’aura été prononcé avec une foi aussi fervente en un avenir heureux ». Ce oui, ils le prononcent le 12 septembre 1840 dans une petite église, près de Leipzig.

L’on comprend mieux dès lors le comportement de Schumann, cette frénésie compositionnelle dont il fut atteint durant cette période. En s’intéressant au genre du lied, il sort de sa « prison » musicale dans laquelle il s’était enfermée avec son piano. Désormais, il réalise l’union entre la poésie et la musique. Dans ses lieder, le chant se libère, comme Schumann d’ailleurs : « Je voudrais, comme le rossignol, chanter à en mourir ». Ainsi, l’on observe l’union des amants, l’union de la musique et de la poésie et l’union du double schumannien devenue enfin réalité.

Pour ses lieder, il fait appel à tous les auteurs romantiques : Heine (Liederkreis op.24, Diechterliebe op.48), Rückert (op.37), Eichendorff (op.40)… mis plus rarement Schiller ou Goethe. En bon romantique, Schumann fait appel à un univers fantastique pour ses lieder, faisant resurgir la nature sombre et mystérieuse de la forêt et de ses châteaux, assombrissant davantage la nuit, traduisant l’angoisse et l’amour.

 

Enfin la grande forme !

« Peu d’événements, plénitude de bonheur ». C’est ainsi que Schumann débute son journal en l’année 1841. Le climat d’effervescence qui l’entoure se poursuit avec frénésie : « Je suis tenté d’écraser mon piano ; il devient trop étroit pour contenir mes idées. J’ai vraiment bien peu d’expérience en fait de musique d’orchestre, mais je ne désespère pas d’en acquérir ». Schumann travaille alors sur sa première symphonie : « L’esquisse de la symphonie tout entière a été achevée en quatre jours. L’épuisement succède à de nombreuses nuits d’insomnie ». La Première Symphonie dite Le Printemps a été revue par Mendelssohn et créée par ce dernier le 31 mars au Gewandhaus. A ce concert, Clara réapparaît pour la première fois depuis son mariage avec au programme des œuvres de Chopin, Mendelssohn et bien sûr du Schumann (Allegro op.8). C’est la consécration du couple.

 

Après ce premier « essai » concluant, Schumann se lance aussitôt dans une nouvelle symphonie, à la mémoire du poète Jean-Paul Richter. Elle sera créée le 6 décembre de la même année, sous le titre de Fantaisie symphonique par Ferdinand David à la tête du Gewandhaus. Schumann reprendra cette œuvre qui deviendra dix ans plus tard la Quatrième Symphonie (op.120).

Entretemps, il travaille à une Fantaisie pour piano et orchestre, qui deviendra son Concerto pour piano et orchestre en la mineur op.54 en 1845. Il s’agit là sans doute de son œuvre la plus célèbre. Cette année 1841 s’achève avec la présence de Liszt chez les Schumann. Ce dernier avait prédit à Schumann que son piano deviendrait trop étroit : « Je crois déjà dans une de mes lettres précédentes vous avoir exprimé le désir que j’prouvais de vous voir écrire quelques morceaux d’ensemble, trios, quintettes ou septuors. Il semble que le succès, même le succès marchant, ne leur manquerait point ».

Il faut attendre 1842 pour que Schumann cède le pas à la musique de chambre. En peu de temps, les œuvres jaillissent de tous les coins, épuisant le genre par tous les bords existants. Si l’on suit de journal de composition, il commence le Premier Quatuor le 4 juin (terminé le 10 juin), le Deuxième Quatuor le 11 juin (terminé le 5 juillet), et le Troisième Quatuor le 10 juillet. En cinq semaines, Schumann achève les trois Quatuors de l’opus 41. Cela continue de plus belle en septembre avec le Quintette avec piano op.44 (écrit en six jours), le Quatuor avec piano op.47 (écrit en cinq jours) et le Quintette (écrit en cinq jours au mois de novembre). Depuis, Schumann produit les grandes œuvres de la musique de chambre, toujours écrites avec piano…

 

Après cette explosion créatrice, Schumann se tait un peu, conformément à son habitude. En réalité, il cherche un nouveau terrain de jeu. Il souhaite créer encore plus grand et plus riche. Cette fois, il songe à l’Opéra : « Combien j’aspire à écrire un Opéra… Je n’ai guère eu le temps de composer, tant la Péri me donne du mal. Toutefois, quelques projets d’Opéra ont beaucoup occupé mon esprit… ». Schumann en tente un première approche avec Le Paradis et la Péri op.50, un oratorio profane sur un sujet de Thomas Moore.

Mais l’exécution médiocre qui eut lieu lors de la création le plonge dans une attitude de prostration. Clara qui n’en peux plus de ses succès à Leipzig entraîne Robert sur l’une de ses tournées à Berlin, Tilsitt, Riga ou Saint-Pétersbourg et Moscou. A son retour, il s’intéresse fortement au Faust de Goethe, particulièrement au Second Faust. Il travaille sans répit en juin et juillet 1844, puisant son énergie dans ses dernière forces déplorables. Il mettra dix ans avant d’achever Les Scènes de Faust (1853).

En 1844, Schumann est épuisé : la tournée de Clara a été très éprouvante, le monde musical ne le reconnaît pas à sa juste valeur. Souffrant de rejet, il abandonne la direction de sa revue, postule au poste de Mendelssohn au Gewendhaus mais rien ne lui est attribué. Il décide alors de partir de Leipzig et de se fixer à Dresde, où il restera quelques années malgré le désert musical qui entoure cette ville.

 

Un confort à installer

                                                  Clara et Robert Schumann (1847)

 

Dès son arrivée à Dresde, Schumann devient stérile musicalement. Il déprime et ne sort de cet état qu’en 1845 après une cure de contrepoint qui lui inspire les Etudes pour piano à pédalier, les six Fugues sur le nom de Bach et Quatre Fugues pour piano. Egalement en composition, le Concerto pour piano (commencé en 1841) et un Seconde Symphonie en ut majeur op.61. « J’ai composé cette Symphonie étant encore malade. Il me semble qu’on doit s’en rendre compte ion. C’est seulement dans la dernière partie que je me sentis renaître ; et de fait, une fois l’œuvre achevée, je me suis senti mieux, mais elle me rappelle surtout une sombre époque ». La symphonie est un triomphe. Pourtant, Schumann arrive à une période de sa vie où il est de moins en moins stable, traversant de graves crises dépressives et souffrant de troubles psychiques inexplicables. Il se replie alors sur sa famille, ses enfants (il en aura huit au total) lui apportant un bien-être confortable ; il leurs compose d’ailleurs l’Album de la jeunesse op.68 (1848). Très vite, son idée de la Grande œuvre lyrique le reprend. Il se jette alors à corps perdu dans Genoneva op.81, son premier opéra allemand. Parallèlement, il s’immerge dans Manfred op.115 (de Lord Byron) puis revient à la musique de chambre avec les deux Trios pour piano et cordes op.63 et op.80. Les années 1849 à 1851 sont encore très fécondes, Schumann écrivant dans tous les genres simultanément. Faust est enfin présenté, même si Schumann y reviendra, et l’écriture se tourne vers les instruments à vents.

« Jamais je n’ai été plus actif et plus heureux en art. Les marques de sympathie qui me viennent de près et de loin me donnent le sentiment que je n’œuvre pas tout à fait e vain. Ainsi, nous filons, nous filons notre toile et à la fin nous nous y incorporons nous-mêmes ».

Pourtant dès 1849, année reconnue comme « l’année féconde » par Schumann lui-même, ce sont des années de panique qui viennent s’installer. En 1850, un grand espoir s’ouvre à Schumann : Hiller abandonne la direction de l’orchestre de Düsseldorf et propose Schumann à sa succession. C’est donc à l’automne 1850 que Schumann prend son nouveau poste et retrouve sa sérénité. Dès octobre, il entame le Concerto pour violoncelle op.129 et les deux mois suivants, il compose la Troisième Symphonie dite « Rhénane ».

 

Les dernières heures

Les années 1851 / 1853 sont les dernières années de création de Robert Schumann. Ses troubles psychologiques étant réduits à cette période, il recommence sa frénésie compositionnelle. Il revient au piano (Trois Sonates pour la Jeunesse op.118), au lied, à l’Ouverture, à la musique de chambre (Trio et Sonates pour violon)…Les projets non plus ne manquent pas : un oratorio est de nouveau en préparation et ce sera le Pèlerinage de la Rose op.112.

 

Bientôt, Schumann s’ennuie de conduire un orchestre. Habitué à suivre une musique intérieure, il met beaucoup de temps à s’absorber dans l’œuvre en cours d’exécution. En peu de temps, il est prié de démissionner. Le monde extérieur échappe peu à peu à Schumann, fasciné par ses voix intérieures. Clara, consciente que ce changement tourne au définitif et ne sera plus seulement passager, se remet à enseigner.

 

En mai 1853, Clara et Robert entendent le jeune violoniste de grand talent, Joachim : « Jamais aucun virtuose ne m’a fait pareille impression ».

« Le 31 septembre, M. Brahms de Hambourg ». A cette occasion, il reprend la plume, abandonnée depuis plusieurs années et sa verve est toujours aussi intacte : Voies nouvelles : Nous vivons vraiment une grande époque de la musique ; Un jeune homme est apparu qui, avec sa merveilleuse musique, nous a étreints tous dans notre profondeur la plus intime ; il suscitera, j’en suis convaincu, le mouvement le plus puissant dans le monde musical… Je crois que Johannes est le véritable apôtre qui, lui aussi, écrira une Apocalypse que des multitudes de pharisiens pendant de longs siècles seront incapables de déchiffrer.

 

                                                    Signature de Robert Schumann

 

Une dernière joie pourtant viendra : Joachim et Schumann organise en janvier 1854 à Hanovre le Festival Schumann. Triomphe complet, l’artiste oublie l’affront de Düsseldorf. Ce sera malheureusement son dernier voyage et ses dernières joies. En février, Schumann est pris de délire et vit entre les anges et le démons de ses hallucinations, comme s’il revivait Faust. Il entend des musiques sublimes et terrifiantes et subit jusqu’à l’obsession d’une note unique. Soudain, il prend conscience de son état : la terreur de sa vie se réalise, il est fou. Craignant pour la santé de ses proches, il demande à être interné. Il ne le sera qu’après une tentative de suicide le 27 février où il se jette dans le Rhin.

Interné à l’asile d’Endenich près de Bonn, Schumann survit deux ans entre ses voyages imaginaires. Il n’est pas enfermé et peut recevoir des visites, comme celles de Brahms et de Joachim. Il a un piano et se promène. Désormais sa femme Clara ne verra plus que Robert à l’agonie. Bientôt, il refuse les visites et n’écrit plus du tout. Le 23 juillet 1856, il arrête de se nourrir. Il est mourant. Clara peut enfin le voir une dernière fois. Il meurt le 29 juillet 1856, après quelques heures d’atroces souffrances.

 

                                                                  

        Clara Schumann (1878), pastel de Franz von Lenbach                                        Clara Schumann (1890 - 1896)

                                                                                                                                                                                                       

  
 

                                            ©ars-classical - Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur