Debussy : Children’s Corner (1908)
Les pièces dédiées aux enfants ont beaucoup attiré les compositeurs : Ravel (Ma Mère l’Oye, 1908/1910), Fauré (Jardin de Dolly, 1893/1896), Schumann (Scènes d’enfants, 1838), Moussorgsky (les Enfantines, 1868/1872) et bien d’autres. Ils adorent les « chambres d’enfants »
et l’univers confiné et innocent qui s’en émane : un éléphant, une poupée de chiffon, une peluche, un polichinelle meublent cet univers enfantin.
Debussy entama la composition des Children’s Corner en 1906 pour les terminer en juillet 1908. Le recueil sera publié aux éditions Durand la même année avec une couverture dessinée par Debussy lui-même. Créées par Harold Bauer le 18 décembre 1908 au Cercle Musical, ces pièces sont dédiées « à ma chère petite Chouchou,
avec les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre ». Le surnom de Chouchou est celui que Debussy donnait à sa fille, Claude-Emma (1905-1919) alors âgée de trois ans.
Ces pièces sont surtout utilisées dans l’étude et l’apprentissage du piano des jeunes enfants, mais en réalité, il faut disposer d’une solide technique instrumentale pour pouvoir les interpréter avec justesse. André Caplet réalisa une transcription de ces pièces pour orchestre que Debussy dirigera lui-même le 25 mars 1911.
Debussy et sa fille
La première pièce, Doctor Gradus ad Parnassum, en ut majeur, tire ses influences du piano de Clémenti. « Modérément animé » et « égal et sans sécheresse » sont les caractères donnés par le compositeur. La tonalité est sage, les formules
d’arpèges douces, le thème expressif, le mouvement s’estompe puis repart, tournoyant, s’accélère, un peu à la manière d’une toccata.
Jimbo’s lullaby (Berceuse des éléphants), en si bémol majeur, use de plusieurs sources situées entre les notes de « Dodo, l’enfant do » et la faute d’orthographe volontaire de Debussy, de Jumbo l’éléphant. Cet éléphant là marche dans un magasin de porcelaine, fait l’économie
des notes, multiplie les silences, modère le volume sonore (seul un mezzo forte pointe le bout de nez mesure 53). Comme Saint-Saëns et son éléphant dans le Carnaval des animaux (1886) et Poulenc pour sa berceuse dans l’Histoire de Babar (1940/1945), la pièce baigne dans le registre grave, et alterne trois motifs. L’un est en pentatonique, « doux et un
peu gauche », le second répète « Dodo l’enfant do » et le troisième contrepointe le tout par ses accords répétés.
La Sérénade for the Doll (Sérénade à la poupée), en mi majeur, se caractérise par les staccatos et appogiatures, ses quintes à vides confinant à la pièce son humeur statique.
Au contraire des autres pièces du recueil, The snow is dancing (la neige danse) est une pièce pour adulte ayant gardé son âme d’enfant. Le spleen s’en trouve renforcé par ses fragments mélodiques et sa thématique toute en valeur longue, douce et triste.
The little Shepherd (le petit berger), en la majeur, est construit sur un air de danse, très rythmé et de nombreux modalismes. On peut entendre un faible écho de cette pièce dans la Boîte à joujoux.
Golliwogg’s cake-walk termine le recueil. Tirant ses origines de Golliwogg, une poupée noire et de cake-walk, une danse noire américaine, cette pièce fait office d’essai pour Debussy à s’initier au style nègre ; ce qui explique la gaieté finale, le rythme un peu dégingandé, ses syncopes et ses fréquents
changements de nuances et de contrastes.
Debussy est un impressionniste, un peintre de la matière sonore, un maître inné de la transcription visuelle. Sa suggestion musicale si parfaite, il l’a doit particulièrement à ses dons d’harmoniste et de pianiste ; d’où l’expression de « piano orchestral » lorsque l’on évoque la musique pianistique du musicien français. Sa virtuosité
est elle aussi impressionnante ; et Debussy l’héritage de Chopin et Liszt, continue de s’enrichir et de transcender tout en ouvrant une voie nouvelle pour ses contemporains, car avec Golliwogg’s cake-walk, il s’agit du premier exemple d’influence « nègre » dans la musique classique.