Accueil
Compositeurs
Hist. de la musique
Analyse
Liens
Partenaires
Contact

 

      

 

 

      

      

 

 

 

      

Iannis Xenakis (1922 - 2001)

 

Ingénieur, architecte, mathématicien et compositeur, Iannis Xenakis fait parti de ces artistes qui ne se limitent pas à une seule discipline. Bien au contraire, ce musicien est un véritable pionnier en matière de musique électro-acoustique : ses œuvres, généralement conçues pour des ensembles instrumentaux traditionnels, résultent souvent de formules mathématiques complexes traitées par ordinateur. Ses explorations musicales lui vaudront la reconnaissance de ses contemporains et du public et sont aujourd’hui enseignées dans de nombreuses institutions.

 

La Grèce :

Iannis Xenakis est né à Braila, en Roumanie, le 29 mai 1922. Son père était agent d’import-export et sa mère aimait jouer du piano ; elle meurt en 1927 en contractant la rubéole au cours de sa quatrième grosses. A l’âge de dix ans, son père l’envoie dans un collège gréco-anglais de l’île de Spetsaï dans lequel il découvre les mathématiques, la littérature grecque et étrangère, et la musique (Beethoven et ses contemporains européens, la musique de la Renaissance italienne et Palestrina). En 1938, il part pour Athènes où il s’inscrit en classe préparatoire à l’Ecole polytechnique pour devenir ingénieur : tout en étudiant les mathématiques, le droit, la littérature antique, il prend des leçons de piano puis d’harmonie et de contrepoint avec Aristote Kondourov.

Au moment même où il réussit le concours d’entrée de l’Ecole Polytechnique, l’Italie envahie la Grèce, l’école doit fermer ses portes et Xenakis s’engage peu à peu dans la Résistance. Durant ces années de guerre, Xenakis met la musique de coté. En décembre 1944, il manque de trouver la mort lors d’un combat : il s’en sort, gravement blessé au visage par un éclat d’obus de mortier, son œil gauche aveugle. A la fin de sa période de convalescence, il reprend ses études et ses activités clandestines, mais en 1947, il doit vivre dans l’ombre car son pays l’a condamné à mort par contumace pour terrorisme politique. Il quitte la Grèce en s’installe en France.

 

Xenakis l’architecte :

                          Xenakis et Le Corbusier, vers 1955

 

Une fois arrivé à Paris, le jeune Xenakis trouve rapidement un emploi chez Le Corbusier, l’architecte mondialement célèbre. Il débutera d’abord en tant qu’exécutant puis prendra une part de plus en plus importante dans les divers projets du maître. Il poursuit également ses études musicales, enchaînant les maîtres d’harmonie et de contrepoint, en quête de professeur idéal. Il étudia entre autre avec Arthur Honegger (à l’Ecole Normale) et Darius Milhaud, mais la rencontre avec Olivier Messiaen en 1951 va le transformer et l’encourager :

« J’ai fait une chose horrible, extraordinaire, que je ne ferais pas avec d’autres, parce que je trouve qu’on doit faire de l’harmonie, qu’on doit apprendre à entendre et à faire du contrepoint ; mais c’était un homme tellement hors du commun ! Je lui ai dit : « Non. Vous avez déjà trente ans, vous avez la chance d’être grec, d’avoir fait des études de mathématiques, d’avoir fait de l’architecture. Profitez de ces choses-là, et faites-les dans votre musique ». Je crois finalement que c’est ce qu’il a fait. » 

En 1952, il assiste régulièrement aux cours du maître, et acquiert désormais plus de confiance pour composer ; il commence avec une pièce pour piano à quatre mains, Zyia kathisto, puis un trio et Anastenaria (1952-1953) pour chœur et instruments. En août 1953, il reçoit le Diplôme du Mérite par le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants pour la paix et l’amitié, grâce à sa mélodie La Colombe de la Paix, composée sur un poème grec.

Cette pièce, comme ses œuvres « scolaires » ne fut jamais publiée, Xenakis les jugeant sans intérêt.

 

Dans le même temps, il suit les premier concerts du Groupe de cherche de musique concrète de Pierre Schaeffer et côtoie Stockhausen. Xenakis collabore toujours aux travaux de Le Corbusier et va pousser ses recherches dans l’unification entre l’architecture et la musique. Dans l’architecture, il pouvait développer ses idées dans l’espace, dans la musique il peut les articuler dans le temps.

La première œuvre qui va le rendre célèbre en incorporant un nouveau langage musical reste Metastaseis, une œuvre pour un orchestre de 61 interprètes, dont chaque partie est différente. Elle ressemble à un graphique projeté dans l’univers sonore avec un sens de la durée très efficace. Crée en 1955 au Festival de la Donaueschingen, cette pièce se verra révéler son caractère révolutionnaire que bien des années plus tard, par rapport au pointillisme sériel très en vogue à l’époque.

Certains, « pour composer leurs œuvres, utilisaient des méthodes graphiques : Pierre Schaeffer, Stockhausen, John Cage, Morton Feldman. Mais Xenakis en revenait toujours à la notation traditionnelle : ses croquis ne constituaient qu’un stade préparatoire qui lui fournissait des images de tel ou tel aspect sur le plan formel et conceptuel, alors que la définition de l’ouvrage en termes musicaux restait à mettre au point. » (Nouritza Matossian, Iannis Xenakis, édition Fayard, 1981)

En septembre 1954, Xenakis réussit à obtenir, par l’intermédiaire de Messiaen, un entretien avec Pierre Schaeffer afin qu’il examine la partition du Sacrifice ; ce dernier la montrera au chef d’orchestre Scherchen lors des répétitions de Déserts de Varèse. Scherchen refusant de jouer Le Sacrifice, demande à voir Metastaseis qu’il se propose immédiatement de diriger si le compositeur apportait quelques retouches pour que l’œuvre soit plus facile à interpréter. Xenakis ignorait alors à cette époque que Scherchen avait été l’assistant de Schoenberg lors de la première du Pierrot Lunaire et avait crée des œuvres de Webern, Hindemith, Stravinsky ou Nono.

Sur les conseils de Dimitri Mitropoulos, Xenakis envoie également sa partition à Heinrich Strobel, directeur du festival de Donaueschingen qui la programme pour l’automne suivant avec Hans Rosbaud.

 

    Iannis Xenakis en compagnie de Mario Bois, Hermann Sherchen et Charles Bruck au festival de Royan, avril 1966.                  Photographie de M. Lemoine.

 

Suite au colloque « Was ist leichte Musik ? » organisé par Scherchen, Xenakis publie en juillet 1955 son tout premier article sur la musique « La crise de la musique sérielle ».

« Les critiques émises par Xenakis étaient formulées par ses porte-drapeau, surtout Boulez et Stockhausen ; pourtant les conclusions et conséquences qu’ils tiraient de la même critique étaient si violemment opposées qu’elles divisèrent nettement la musique contemporaine pour plusieurs années, Boulez et Stockhausen renforçant et élargissant le sérialisme afin d’en surmonter les faiblesses, tandis que Xenakis se faisait le champion de son abandon avec un programme d’objectifs neufs et d’alignement différent. » (Nouritza Matossian, Iannis Xenakis, édition Fayard, 1981)

C’est donc tout naturel et logique pour Xenakis de se tourner vers la musique concrète. Il entre au Groupe de recherches de musique concrète de Pierre Schaeffer, et y participe jusqu’en 1962 ; la première oeuvre qu’il va y réaliser est Dyamorphoses (1957-1958). L’année suivante (1956), il publie un autre article « Théorie des probabilités et composition musicale » dans lequel il expose les lois stochastiques utilisées dans l’écriture de sa nouvelle œuvre Pithoprakta ; Xenakis utilisait le terme de musique stochastique pour désigner « une musique bâtie sur le principe de l’indéterminisme ».

Dans le même temps, il est sollicité pour concevoir le Pavillon Philips pour l’Exposition Universelle de 1958 : sa conception est une suite de projections d’images et de lumières et une œuvre électronique spatialisée – Le Corbusier avait d’ailleurs imposé Varèse pour la réalisation du Poème électronique. Ce projet est l’occasion d’une brouille pour les deux architectes, Le Corbusier cherchant à s’approprier l’entité de l’entreprise accepte au final la co-signature du projet.

 

Avec Achorripsis pour ensemble mixte et 21 instruments (1959), Xenakis entre dans le domaine réservé de la musique par ordinateur. Il avait déjà fait part à Schaeffer de ses idées avant-gardistes, mais celui-ci suivant davantage les recherches et expériences américaines pour évoquer sans tabou l’intégration d’ordinateurs dans la musique.

De même, depuis 1958, Xenakis étendait la théorie de la probabilité dans son œuvre. C’est dans cet esprit qu’il conçoit Analogique A pour neuf instruments à cordes, une commande pour le Service de recherches de l’ORTF. Cela déclanche un « conflit » avec Schaeffer qui n’hésite pas à lui dire qu’il est sur la mauvaise voie.

Les œuvres de cette période sont d’une conception plus abstraite ; ainsi en est-il de Duel (pour deux orchestres, 1959 ; œuvre qualifiée de « musique stratégique »), Syrmos (pour orchestre à cordes, 1959), Analogiques A et B (pour neuf cordes et bande magnétique), Herma (pour piano, 1960-1961). Ayant mis au point un programme informatique de composition musicale, Xenakis compose la famille des ST/ à l’aide des données calculées par l’ordinateur IBM 7090 : ST/4 (1956), ST/10 (1956) et ST/48 (1956-1962) pour quatuor à cordes, dix instruments et grand orchestre (ST signifiant Stochastique et le chiffre le nombre d’instruments).

 

Xenakis le compositeur :

 

A partir de 1960, les milieux artistiques français commencent à reconnaître le talent de Xenakis : en mai est présenté le court-métrage Orient-Occident d’Enrico Fulchignoni commandé par l’Unesco avec une œuvre électro-acoustique homonyme de Xenakis, il compose Vasarely, pièce instrumentale également pour un court-métrage, publie des articles sur la musique stochastique, présente à Tokyo un concert de musique expérimentale, participe (toujours à Tokyo) au congrès international « Orient-Occident » où sont présents Berio, Carter ou Powell.

En étant le premier compositeur d’Europe à réaliser des œuvres musicales avec l’ordinateur, Xenakis atteint ainsi un nouveau statut. Il assiste au Festival d’automne de Varsovie ou sa musique reçoit enfin un accueil chaleureux.

L’ouvrage Musiques Formelles paru en 1963 marque une date importante en regroupant plusieurs de ses articles théoriques. Il est invité à donner des cours aux Etats-Unis par Copland et, à Berlin-Ouest grâce à une bourse de la Fondation Ford. Il compose à cette époque Polla tha Dina pour chœurs d’enfants et orchestre (1962) et Eonta (1963-1964), œuvres contribuant à cibler la musique de Xenakis à un public plus large. En mai 1965, Iannis Xenakis obtient la nationalité française grâce à l’aide de Georges Pompidou et de Georges Auric, et reçoit le grand Prix de l’Acamédie du Disque français pour l’enregistrement de Metastaseis, Pithoprakta et Eonta.

 

La réputation de Xenakis s’accroît encore avec la création de Terretêktorh (« un accélérateur de particules sonores »), sa première expérience de musique spatialisée, faisant entrer l’auditeur au milieu des musiciens. Désormais, Xenakis occupe une place de premier plan ; pour preuve le succès de Nuits (pour douze voix solistes, 1968), Nomos Gamma (pour 98 musiciens répartis dans le public, 1969), Anaktoria (pour octuor, 1969), Synaphai (pour piano et orchestre, 1970), Persephassa (pour six percussionnistes répartis dans le public, 1969).

Succès peut-être dû aussi à l’ouverture du public pour la musique contemporaine, qui lui procure de nombreuses commandes et donc des moyens plus importants mis à sa disposition. Il peut alors créer des spectacles : Hibiki-Hanama (1969-1970), Persepolis (1971), Polytope de Cluny (1972), et Diatope (1977) sont autant d’étapes nécessaires pour cette « musique audiovisuelle ».

 

La décennie 1970/1980 est très féconde pour Xenakis ; il n’achève pas moins de 35 œuvres, et grâce à des commandes, des enregistrements, des tournées ou des conférences, il devient l’un des plus grands compositeurs au monde ; il effectue même un retour triomphal en Grèce après toutes ces années d’absence.

Il a rassemblé autour de lui un groupe de le C.E.M.A.M.U. (Centre de Mathématique et Automatique musicales) dont l’objectif est de faire le lien entre l’art, la science et la technologie. Ce Centre ne sera connu que dans les années 1980 avec la mise au point de la « machine à composer », plus communément appelée l’U.P.I.C.

Parallèlement à toutes ces recherches, il compose Aroura (pour douze instruments, 1971), Antikhton (pour orchestre 1971), Linai-Agon (pour trois cuivres, 1972), Eridanos (pour six cuivres et cordes, 1973), Evryali (pour piano, 1973), Cendrées (pour chœur mixte et orchestre, 1973), Noomena (pour orchestre, 1974), Empreintes (pour orchestre, 1975), Khoaï (pour clavecin, 1976), la Légende d’Er (bande magnétique pour le Diatope, 1977), Pléaides (pour six percussions, 1978), Aïs (pour baryton, percussion et orchestre, 1980), le concerto pour piano Keqrops (1986), Kyania (pour orchestre, 1990), Roaï (pour orchestre, 1991), les Bacchantes d’Euripide (pour chœur de femmes et instruments, 1993), O-mega (pour percussion et 13 instrumentistes, 1997) etc …

Iannis Xenakis s’éteint le 4 février 2001.

 

Xenakis, durant toutes ces années, reste fidèle à son esthétique musicale, et même si ces dernières œuvres évoluent vers un lyrisme plus direct et plus humain, il a su rester en marge des divers courants musicaux qui agitèrent la musique contemporaine.

Dans sa musique, Xenakis mélange Debussy et Dutilleux, ignore les vibrati au profit d’un son droit et pur, pousse les instruments dans leurs limites et enrichi les procédés orchestraux de glissandi entrecroisés aux cordes. Son esthétique et son langage fut repris, imité par ses contemporains et successeurs, mais jamais inégalé.

Musicien et architecte, la démarche de ce maître de l’espace-temps était avant tout de permettre à l’auditeur d’accéder à une nouvelle conscience du monde.


                                                                                                                                                                         

 

                          ©ars-classical - Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur