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Edgar Varèse : Hyperprism

 

          Varèse a composé Hyperprism à New York de septembre 1922 à février 1923. L’oeuvre qui dure à peu près 4 minutes, est la plus brève des oeuvres instrumentales de Varèse. Ecrite pour 17 percussions et 9 instruments à vent, le public de New York a réagi par un scandale. Il a voulu créer une impression auditive de déformation provoquée par un prisme. Les plans sonores sont en mouvements, les masses évoluent, varient en intensité et en densité. Les sons peuvent fusionner ou s’opposer, se rejeter les uns les autres. Varèse disait volontiers que sa façon de composer correspondait à la cristallisation.

 

Voici quelques éléments que l’on peut relever lors d’une première lecture.

- Tempo : Moderato poco allegro. De nombreuses expressions appartenant au vocabulaire temporel, jalonnent l’oeuvre : très calme, a tempo, calmato a tempo, tempo initial, lent, très lent, a tempo mosso , vif, moderato, vif  très souple, allegro molto. Grande graduation dans la fluctuation du tempo.

- Pas de reprise, donc pas de retour d’éléments musicaux entendus. Le déroulement de la partition se fera dans la continuité.

- L’oeuvre est binaire, la mesure à 4 temps. La durée unitaire n’apparaît pas. Rapidement, nous trouvons une mesure ternaire avec l’indication noire pointée égale la noire, pour une courte durée. Donc, la pulsation n’est pas modifiée, seule la division du temps est transformée. Mesure à 5 temps. Enchaînement de mesures toutes différentes. L’oeuvre est organisée dans un système binaire. L’unité est le temps, ce qui renforcera la sensation de pulsation. La diversité des mesures induira une accentuation originale, articulant l’oeuvre d’une manière toute particulière.

- Deux familles instrumentales sont utilisées. Les instruments à vent avec prédominance des cuivres et présence de deux instruments de la famille des bois (clarinette en Mi bémol, flûte traversière),des instruments à percussion (métaux, bois, peaux). Deux instruments inhabituels : le tambour à corde (lion’s roar) et la sirène. L’ensemble des percussions associe instruments originaux et instruments plus traditionnels dans l’orchestre. La crécelle est un instrument ancien, appartenant à la musique traditionnelle, mais il est rare de la voir présente dans une oeuvre savante. Tous sont mis en relief à un moment ou à un autre. De nombreux effets de timbres sont notés (sourdine, frottés, sur le rebord, bouché...).

- L’évolution de la densité de l’écriture est constante. Progressive au début de l’oeuvre, elle se raréfie ensuite, semble fonctionner parfois en blocs par familles instrumentales, ne concerner qu’un groupe ou se disperser. Les points d’orgue constituent des repères significatifs. Ces éléments semblent jalonner l’organisation de l’oeuvre.

      

Voici une ébauche du plan de l’oeuvre:

 

Mesures 1 à 20 

Moderato poco allegro           

 Mesure à 4 temps                Vents et percussions           Entrées progressives            

Mesures 20 à 30

Calmato a tempo. Tempo initial 

 Mesures à 4 et 5 temps  Flûte traversière puis percussions

 Mélodies puis sons tenus.

 Polyrythmie complexe

Mesures 31 à 40

Pesante 

 Alternance de mesures

 différentes

 Cuivres.

Peaux et métaux

 Bloc vertical

 Homorythmie 

Mesures 40 à 60

Lent, mosso, vif, a tempo 

 Différentes mesures

 Instruments à vent

 Percussions

 Polyphonie puis

 polyrythmie

Mesures 60 à 76

Moderato 

 Mesures à 3 et 4 temps 

 Cors et trombones

 Flûte, percussions

 Sons tenus, mélodie

 Rythmes associés 

Mesures 77 à 90

Vif, allegro molto 

 Mesures à 3 puis 4 temps

 Peaux, cors

puis ensemble à vents 

 Appels rythmiques

 Elaboration d'un accord

 

Parmi les instruments, la sirène est un élément sonore facilement identifiable. Elle est située sur la première portée. Elle est présente mesure 4, 7, 13, 27, 60 et 73. Les instruments à vents appartenant à la même catégorie instrumentale, sont souvent associés. C’est le cas pour les cors, les trombones, les trompettes.

En ce qui concerne les instruments à percussion, la situation est différente. Ils sont pour la plupart du temps complémentaires. Ils réalisent une polyrythmie complexe. L’homorythmie de deux blocs sonores des mesures 31 à 38 et l’intervention d’un bloc homorythmique des mesures 49 à 55. Il y a aussi présence d’éléments “thématiques”, à la mesure 20, la flûte est le seul instrument à vent à intervenir. La ligne mélodique est mise en évidence. Mesures 31 et suivantes, l’ensemble des cuivres scande une phrase musicale. Même remarque pour les instruments à percussion, caisse claire à la mesure 22, blocs chinois aux mesures 69, 70, 71, 72...

Les modes de jeux sont variés. Ils font l’objet d’une indication littéraire écrite pour les instruments à vent et les instruments à percussions. La notation est précise; elle prend la forme de l’écriture traditionnelle. Toutes les intentions sont notées avec précision. Le timbre est modelé, travaillé, sculpté. Rien n’est laissé au hasard, l’interprète n’a pas d’espace de liberté.

 

          La répartition spatiale des sons évolue tout au long de l’oeuvre. Espace concentré au début, réduit à un ambitus étroit; mise en mouvement, agitation, élargissement ensuite; stabilité éphémère, dislocation, équilibre , répulsion; l’oeuvre conclut sur un large ambitus striant progressivement l’espace sonore.

Les expressions employées par Varèse propres à certains instruments (cuivres par ex.), permettent à l’interprète d’adapter son jeu, de sculpter le son. Il y a aussi des expressions pour lesquelles il est difficile d’imaginer le résultat sonore. A la mesure 11, interprété par le cor, l’expression Heavy, indique une indication qui ne révèle pas du domaine sonore.

La première note du morceau est un do dièse. Il est morcelé par l’intervention d’autres instruments qui s’ajoutent, en reprenant la même note. Les instruments s’infiltrent et modifient sa couleur. Un autre élément d’ordre mélodico-harmonique intervient à la mesure 13. C’est un accord de 9 sons, construit progressivement. Varèse utilise des combinaisons étrangères à toute évocation de tonalité.

Le motif rythmique de la caisse claire à la mesure 22 initie des motifs dérivés par amplification, augmentation, transformation. Au chiffre 4, l’aspect monolithique de la section contraste fortement avec les volets musicaux situés de part et d’autres de cette section.

Les changements d’activités sont constants. Ils sont multiples, parfois associés, ou isolés. Eclatement de la matière sonore, variations de tempi, sections homorythmiques, polyrythmies extrêmes. Les procédés d’écriture utilisés par Varèse évoquent des techniques très anciennes : contrepoint, entrées, mélodie accompagnée, contre-chant, polyphonie...Le tout revisité dans un contexte sonore contemporain créant en quelque sorte un monde sonore inouï auquel nous sommes aujourd’hui plus accoutumés. Les instruments à percussions sont exploités à travers une grande diversité d’effets. Les nuances sont extrêmes, fortement contrastées.

 

          L’oeuvre de Varèse est originale. Elle est en rupture avec le monde sonore existant au début du siècle par l’utilisation originale de l’orchestre qui attribue une place de choix aux instruments à percussion et aux cuivres. Les effets sonores sont travaillés. Le son est primordial, la note n’est qu’un support pour modeler, façonner le son à travers une démarche “visionnaire”.Les quatre paramètres du son : hauteur, durée, intensité, timbre, font l’objet d’un travail précis.

          A la manière des techniciens du son, Varèse façonne les quatre paramètres des sons. On ne trouve pas dans l’écriture de Varèse une véritable influence du passé. La forme est induite par l’évolution de la matière sonore. L’étude, à la table, de la partition correspond à l’analyse plus approfondie. Tout est là, tout est écrit. L’écoute de l’oeuvre permet d’affiner, de confirmer, les éléments musicaux identifiés. Pas de véritable thème, au sens traditionnel du thème, mais des éléments structurants, soumis à des évolutions induites par les mouvements des trames sonores, des masses en mouvement. Le souci d’organisation est présent. Pas de redite mais une configuration qui prend en compte la notion du temps (le matériau évolue tout en gardant son identité), et d’espace. 

                                                                                                                                                                                                                                        

 

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