Schubert :
Wanderer-Fantaisie en do majeur D760 op.15
La Wanderer-Fantaisie est
une des pages les plus importantes écrites pour le piano par Franz Schubert en
l’année 1822. C’est pratiquement la seule œuvre instrumentale d’importance que Schubert
acheva cette année-là, après l’interruption de la Symphonie inachevée (novembre 1822).
Cette « Fantaisie sur le
voyageur » est une commande du riche aristocrate viennois
Emmanuel-Karl von Liebenberg, élève du compositeur et virtuose Hummel. Cela
explique le caractère inhabituel de cette partition dans l’œuvre schubertienne.
Cette Fantaisie est très différente
des autres pages pianistiques, aux caractères intimes, de Schubert. C’est une
composition brillante, rappelant les traits musicaux de Hummel, comblée de
maintes difficultés et posant pléthores de problèmes techniques. Jamais
Schubert n’écrira d’œuvre plus difficile, cette Wanderer-Fantaisie surpassant – paraît-il – ses propres capacités pianistiques.
Devant ces pages virtuoses, on peut comprendre l’engouement de Liszt pour
cette œuvre ; rappelons que Liszt en réalisa une transcription pour piano
et orchestre. Liszt appréciait particulièrement la virtuosité de cette œuvre
mais également l’unité qui s’en dégageait.
Schubert avait introduit une grande unité entre les différents
mouvements de la Wanderer-Fantaisie
car cette pièce se compose de quatre mouvements, comme peuvent l’être ceux
d’une Sonate : Allegro – Adagio – Scherzo – Finale (cependant, il n’en est
rien en examinant la structure de chaque partie). La nouveauté du plan formel
est que ces quatre mouvements s’enchaînent, liés par un thème unique. Beaucoup
voient en cette œuvre une anticipation du poème symphonique lisztien et un
modèle pour la Sonate en si mineur de
Liszt.
Le thème unique de la Wanderer-Fantaisie
est emprunté à un lied composé par Schubert, Der Wanderer (« le
Voyageur »), composé en 1816 sur un poème de Schmidt von Lübeck. La
mélodie empruntée correspond au texte suivant : « Le soleil me semble ici si froid, la fleur flétrie,
la vie vieille, et ce qu’ils racontent bruit vide et creux ; je suis un
étranger partout ». La forme
originelle de cette mélodie, Schubert nous la donne dans l’Adagio de sa Wanderer-Fantaisie.
ALLEGRO CON FUOCO, MA NON TROPPO
L’œuvre commence tout de suite avec l’entrée du thème cyclique, scandé
en accords martelés par un rythme de Noire-2 croches-Noire (le rythme préféré
de Schubert). Ce thème enchaîne ensuite sur une montée chromatique et se
termine par une appoggiature chromatique montante, très importante dans
l’œuvre.
Après un silence en point d’orgue, le thème est repris puis suivi d’un
déferlement de doubles croches, un trait pianistique très virtuose.
Le second thème, un dérivé du premier thème cyclique, est exposé en mi
majeur, dans une humeur plus douce. Une rupture est créée avec la reprise du
thème cyclique, fortissimo, puis du second, le tout développé par marches
descendantes.
Une troisième idée arrive , en Mi bémol majeur, également issue du
thème cyclique, puis en La bémol majeur et en ré bémol majeur. Cette dernière
tonalité sera reprise pour l’énonce du premier thème, cyclique, évoluant par
marches harmoniques pour aboutir sur le rythme Noire-2 croches-noire, obsédant,
clôturant cet Allegro en do dièse
majeur.
ADAGIO
C’est la première fois que Schubert place un Adagio au centre d’une œuvre. D’ordinaire, il opte pour les Andantes ou les Andantinos, n’aimant pas trop le pathos. Ce mouvement est ainsi
riche en émotions et profondément intense.
Cet Adagio est placé sous
l’égide de la Variation. Le thème, originel cette fois, est long de huit
mesures, traité en forme de choral et oscillant entre le Mi majeur et son
relatif mineur, le do dièse mineur.
Dans la première variation, le thème est orné, légèrement, sur un lit
de doubles croches, rendant cette variation fluide et légère.
La seconde variation est plus libre, accompagnée de triples croches.
Elle sombre très vite dans l’extrême grave, rendant ce passage sombre et
angoissant avec un rythme angoissant, saccadé, partagé entre les deux mains.
La troisième variation, en do dièse majeur, met en valeur le thème,
orné sous un accompagnement luxuriant.
Le sommet de la virtuosité est atteint dans la quatrième variation,
tout en quadruples croches, dans des traits vertigineux.
La cinquième et dernière variation est également en quadruples
croches, plus sobre, plus grave (les deux mains sont en clé de fa pendant un
moment). On retrouve un rythme saccadé, haletant avant d’entendre ce thème à
nouveau, à la manière d’une coda.
SCHERZO
Le Scherzo, Presto, change le
rythme dactyle (Noire-2 croches-Noire) du thème principal pour un rythme
pointé. Celui-ci est aisément reconnaissable. Le Scherzo est vif, rapide,
efficace par ses rythmes pointés, modulant à tout va.
Des triolets fortissimo en font très vite une page d’excellence
pianistique avant d’enchaîner sur un second thème, dérivé du premier mais plus
sensuel. Schubert travaille et mélange ensuite triolets virtuoses et rythmes
pointés en une écriture purement verticale. Le second thème fait une brève
réapparition après un point d’orgue mais s’efface très vite devant le Trio.
Le Trio est plus langoureux
mais pas moins rapide, écrit dans un style de fugue, davantage horizontal. Il
est bref et amène rapidement le premier thème du Scherzo. Cette réexposition est écourtée, les thèmes travaillés,
étirés en longueurs, modulant . Schubert termine ce Scherzo dans des triolets rapides, virtuoses amenant une dernière
exposition du thème en rythme pointé.
FINALE (Allegro)
Enchaîné au Scherzo sans
coupures, le Finale de cette Wanderer-Fantaisie réexpose le thème
cyclique, initialement entendu dans le premier mouvement. Il est traité dans
une écriture fuguée, à quatre voix. Le thème est développé librement, mêlant un
style de choral populaire, des réexpositions du sujet (thème), créant parfois
une harmonie serrée dans son écriture, toujours virtuose. La coda, virtuose par
ses traits, triomphe de toute la Wanderer-Fantaisie.
La Wanderer-Fantaisie nous
fait connaître ici un Schubert que nous connaissons mal. Schubert, d’habitude
si bouleversant, si profond, l’est également ici mais d’une manière extraordinairement
différente, virtuose et triomphal.
C’est après avoir écrite la Wanderer-Fantaisie
en novembre 1822 que Schubert nous livrera ses plus grandes Sonates et ses plus belles pages pour le
piano.