Steve Reich - Different Trains
Different
Trains est une composition
pour quatuor à cordes et bande magnétique écrite en 1988. Elle évoque la
déportation des Juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. Ce thème est cher à
Steve Reich pour des raisons personnelles :
« L'idée
de cette composition vient de mon enfance. Lorsque j'avais un an, mes parents
se séparèrent. Ma mère s'installa à Los Angeles et mon père resta à New York.
Comme ils me gardaient à tour de rôle, de 1939 à 1942 je faisais régulièrement
la navette en train entre New York et Los Angeles, accompagné de ma
gouvernante. Bien qu'à l'époque ces voyages fussent excitants et romantiques,
je songe maintenant qu'étant juif, si j'avais été en Europe pendant cette
période, j'aurais sans doute pris des trains bien différents. En pensant à
cela, j'ai voulu écrire une œuvre qui exprime avec précision cette situation.
Voilà ce que j'ai fait pour préparer la bande magnétique :
- J'ai enregistré ma gouvernante Virginia,
maintenant âgée de plus de soixante-dix ans, qui évoque nos voyages en
train.
- J'ai enregistré un ancien employé des wagons-lits
sur la ligne New York-Los Angeles, maintenant à la retraite et âgé de plus
de quatre-vingt ans : M. Lawrence Davis, qui raconte sa vie.
- J'ai rassemblé des enregistrements de survivants
de l'Holocauste : Rachella, Paul et Rachel, tous à peu près de mon âge et
vivant aujourd'hui en Amérique, qui parlent de leurs expériences.
- J'ai rassemblé des sons enregistrés de trains
américains et européens des années 1930, 1940.
Pour combiner les conversations sur
bande magnétique et les instruments à cordes, j'ai sélectionné des exemples
brefs de discours, aux différences de ton plus ou moins marquées, et je les ai
transcrits aussi précisément que possible en notation musicale.
Ensuite, les instruments à cordes
imitent littéralement la mélodie du discours. Les exemples de conversation et
les bruits de trains ont été transférés sur bande magnétique à l'aide d'un
échantillonnage de claviers, les sampling keyboards, et d'un ordinateur. Trois
quatuors à cordes séparés ont aussi été ajoutés à la bande magnétique
pré-enregistrée et le quatuor final, joué par des musiciens, vient s'ajouter
lors du concert. »
Analyse :
Different
Trains est une œuvre
en trois mouvements :
1.
L’Amérique
avant la guerre
2. L’Europe pendant la guerre
3.
Après
la guerre
« J'utilise dans Different Trains, une nouvelle manière de composer qui a ses
origines dans mes compositions antérieures pour bandes magnétiques : It's
Gonna Rain (1965) et Come Out (1966). L'idée générale est d'utiliser des
enregistrements de conversations comme matériau musical. »
Mouvement 1 : l’Amérique avant la guerre
L’Amérique
avant la guerre représente
le train, le voyage, l’insouciance, le bonheur de prendre le train pour se
déplacer. Les voix évoquent le trajet Chicago-New-York-Los Angeles.
Musicalement, ce
mouvement est construit sur un ostinato évolutif (imitation du train) auquel se
superpose un dialogue enregistré voix-cordes. Sur un mode répétitif, des sons
de sirènes viennent ponctuer le discours.
Mouvement 2 : l’Europe pendant la guerre
Ce deuxième
mouvement représente le train de la mort. Un aller sans retour. Il symbolise le
train des déportés emmenés vers les camps de concentration.
Pour symboliser ce
train, Steve Reich use de plusieurs éléments telles des cellules
répétitives qui se superposent ou s’entrecroisent, un ostinato aux cordes, un
instrument à cordes imitant l’intonation de la voix à chaque phrase et la répétant
en écho, une tension grandissante à partir de « don’t breathe », un caractère obsessionnel et angoissant dû à
la répétition de l’ostinato et des registres aigus ou encore un ralentissement
puis fin dans le néant signifiant la disparition des corps dans les fours
crématoires.
Mouvement 3 : Après la guerre
Ce troisième et
dernier mouvement évoque le train de l’espoir retrouvé, lors de l’immigration
de certains juifs aux Etats-Unis. Steve Reich traduit cela par un discours
musical plus riche et plus dense, en ayant recours à une superposition de
cellules répétitives, un nouveau dialogue « voix-cordes ». De nombreuses
ruptures s’effectuent dans le discours, par des changements de tempo,
d’ostinato, de cellules répétitives et de registre qui illustrent les souvenirs
de la fin de la guerre.