Rachmaninov :
Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineurop.30
Cette œuvre est l’une des plus imposantes du répertoire pianistique.
Près de quarante minutes de musique où le piano doit faire face à de nombreuses
difficultés et montrer une technique redoutable. Cela fut d’ailleurs la
principale critique depuis sa création ; Rachmaninov lui-même n’a pu
honorer le public d’un rappel lorsqu’il a crée ce concerto.
Ce troisième concerto pour piano est l’une des œuvres les plus
plébiscitées de Rachmaninov et tous les grands interprètes s’y sont risqués. Il
ne s’agit pas ici d’une œuvre personnelle mais une œuvre de commande, destinée
au public américain. Composée en quatre mois en 1909, elle demanda beaucoup d’efforts
à son auteur : « Je ne peux
rien te dire. Sinon qu’il me reste peu de temps, que ce que j’ai fait ne me
plaît pas particulièrement, que composer est pénible… L’histoire habituelle. »
L’œuvre fut créée par Rachmaninov le 28 novembre 1909 à New York sous
la direction de Walter Damrosch.
L’œuvre est complexe et se trouve au carrefour des deux continents :
la Russie puisque le concerto fut écrit dans le calme de la propriété d’Ivanovka
(on y retrouve les couleurs mélodiques et slaves) et l’Amérique puisque l’œuvre
devait être créée à New York. Pour conquérir le public outre-Atlantique,
Rachmaninov n’hésita pas à user des figures de style douces et acrobatiques, d’ornements,
de surenchères techniques, poussant les dialogues entre l’orchestre et le
soliste dans d’innovants retranchements.
Premier mouvement : Allegro non tanto
« Le premier thème de mon
Troisième Concerto n’est emprunté ni au chant populaire, ni à la musique d’église.
Il s’est tout simplement « composé lui-même ! » (…) je ne pensais
qu’à la sonorité. Je voulais « chanter » la mélodie au piano… et lui
trouver un accompagnement adéquat… Rien de plus ! »
D’emblée, le piano expose le premier thème, une longue phrase ample et
simple de grande proportion. Il est repris à l’orchestre alors que le piano en
exécute une ornementation brillante en contrepoint. Un motif rythmé, vif,
prépare le second thème ; ce passage de virtuosité s’achève en silence,
alternant de nombreuses modulations. Le second thème contraste avec ce qui s’est
fait entendre précédemment : lyrique et émouvant, il est énoncé à l’orchestre,
repris par le soliste, devient de plus en plus intense en se développant.
Le développement commence avec une reprise du thème initial dans
diverses modulations. Très vite, le soliste accède à un passage brillant, un
premier crescendo et un premier sommet où il s’échappe par une succession d’accords
martelés. Une petite accalmie ensuite, caractérisée par des appoggiatures
syncopées pour annoncer la cadence. Rachmaninov écrit deux versions pour cette
cadence : la première est difficile et la plus répandue chez les
interprètes, la seconde surpasse les complexités et prouesses techniques avec
ses accords fournis. Peu à peu, la cadence évolue vers le thème initial.
Rachmaninov ne fait pas de réexposition mais une coda basée sur le
thème initial, se clôturant progressivement dans un decrescendo évasif.
Second mouvement :
Intermezzo
Un mouvement lent dicté d’une riche inspiration mélodique et d’un
contenu original. Un long thème est énoncé par l’orchestre, dramatique et
sombre. Le piano le reprendra sous forme de variations, dans un fracas grave,
voire funèbre. Tout au long de cet intermède, le temps s’étire, le soliste
redouble de virtuosité puis le temps s’étire à nouveau. Des épisodes très
contrastants avant de clôturer à l’aide d’une transition tumultueuse, qui
enchaîne le troisième mouvement sans coupures.
Troisième mouvement :
Alla breve
Sans interruption, le troisième mouvement s’ouvre par une chevauchée
pianistique, dans l’aigu auquel s’enchaîne un dialogue époustouflant entre le
soliste et l’orchestre. Ce mouvement est rythmique, doté d’un élan et d’un dynamisme
hors du commun. Broderies virtuoses, phrases langoureuses, les changements sont
soudains mais ce concerto extatique et rhapsodique (à la manière de Chopin) se
clôt magistralement avec des envolées brillantes, un orchestre jubilatoire et
triomphant. Une mise en scène théâtrale et dynamique réussie pour la conquête d’un
nouveau public.
Ce concerto est une œuvre magistrale, un monument, slave, tourmenté,
poétique et rhapsodique, américain, brillant et spectaculaire. Il fit la
conquête de tous les musiciens, devint une « icône » de la musique.
On peut relever une anecdote rapportant l’enthousiasme de Mahler qui, répétant
le concerto avec son auteur en 1910, insista pour qu’un temps exceptionnel de
préparation soit accordé à l’orchestre !