Messiaen : Quatuor pour la fin du Temps
Le Quatuor pour la fin du temps est l’Oeuvre
d’Olivier Messiaen. Pourquoi ? pour plusieurs raisons :
- le quatuor est la seule partition écrite dans des camps de concentration par un artiste majeur
- Messiaen incorpore pour la première fois dans sa musique des chants d’oiseaux
-
Il inclut à
sa partition un traité sur le rythme qui préfigure son premier grand travail théorique : Technique de mon langage musical (1944)
Par son instrumentation également, le Quatuor pour la fin du Temps se fait original (clarinette,
violon, violoncelle, piano) et
se rapproche d’œuvres de Paul Hindemith (Quatuor, 1938), Toru Takemitsu (le Quatrain, 1975 ; le Quatrain, 1977). Pourtant, cette instrumentation n’est pas fortuite : prisonnier de guerre en Allemagne en 1940/1941, Messiaen profite de la présence de trois autres musiciens :
Jean
le Boulaire (violon), Henri Akoka (clarinette) et Etienne Pasquier (violoncelle).
Cette œuvre n’aurait jamais vu le jour sans cette rencontre hasardeuse ni sans le goût des officiers allemands du Stalag pour la musique. La première audition est donnée au Stalag VIII le 15 janvier 1941.
Dans la préface de la partition, Messiaen insiste sur le fait qu’il se
soit inspiré d’une citation extraite de l’Apocalypse de Saint-Jean : « Je vis un ange plein de force, descendant le ciel, revêtu d’une nuée, ayant un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer, son pied gauche sur la terre, et, se tenant debout sur la mer et la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par celui qui vit dans les siècles des siècles, disant :
il n’y aura plus de temps ; mais au jour de la trompette du septième ange, le mystère de Dieu se consommera. »
Le compositeur donne ensuite des exemples précis pour illustrer son langage rythmique :
A) La valeur ajoutée : valeur brève, ajoutée à un rythme quelconque, soit par une note, soit par un silence, soit par le point... Ordinairement, le rythme est presque toujours immédiatement pourvu de la valeur ajoutée, sans avoir été entendu
au préalable à l’état simple.
B) Les rythmes augmentés ou diminués : un rythme peut être immédiatement suivi de son augmentation ou diminution, suivant divers formes
C) Les rythmes non rétrogradables : qu’on les lise de droite à gauche, ou de gauche à droite, l’ordre de leurs valeurs reste le même. Cette particularité existe dans tous les rythmes divisibles en deux groupes rétrogradés l’un par rapport à l’autre, avec une valeur centrale commune.
D) La pédale rythmique : rythme indépendant, sui se répète inlassablement, sans s’occuper des rythmes qui l’entourent.
Olivier Messiaen a pris soin aussi, de donner des conseils aux exécutants : « Qu’ils
lisent tout d’abord les commentaires et la petite théorie.
Mais, ils n’on pas à se préoccuper de tout cela pour l’exécution : il leur suffit de jouer le texte, les notes et les valeurs exactes, de bien faire les nuances indiquées... Qu’ils ne craignent pas les nuances exagérées, les pressés, les ralentis, tout ce qui rend une interprétation vivante et sensible... Soutenir implacablement les mouvements extrêmement lents des deux “Louange” à “l’Eternité de
Jésus” et à son “immortalité”. »
Selon le commentaire de Messiaen sur la partition, le premier mouvement Liturgie de cristal, correspond au réveil des oiseaux « entre 3 et 4h du matin » et repose sur une écriture polyphonique continue. La Vocalise pour
l’Ange
qui annonce la fin du Temps est articulée
autour de la partie centrale où violon et violoncelle déploient une mélodie « quasi plain-chantesque sur les cascades douces d’accords bleu-orange » du piano. L’Abîme des oiseaux, de forme tripartite, est confiée à la clarinette. Après l’Intermède sans piano, la Louange à l’Eternité de Jésus est confiée au violoncelle dont l’écriture homophonique se poursuit dans la Danse
de la fureur pour les sept trompettes, mouvement dans lequel Messiaen illustre sa préférence pour les nombres premiers et les rythmes non-rétrogradables. Fouillis d’arc-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin de Temps est le mouvement le plus élaboré de l’œuvre. Enfin, la Louange à l’immortalité de Jésus correspond « au second aspect de Jésus, à Jésus-homme, au Verbe
fait chair, ressuscité immortel
pour nous communiquer la vie. »
Le langage musical :
Messiaen utilise les douze sons chromatiques. Nous percevons à l’audition un ensemble sonore stable, équilibré. Il a disposé des douze sons de manière originale. Ici, pas de chromatisme au sens traditionnel du terme, pas d’instabilité bien au contraire. Pas de sentiment tonal, ni atonal.
En revanche, deux instruments comportent,
dans leur ligne mélodique, des éléments musicaux de l’écriture des chants d’oiseaux dans le langage musical de Messiaen :
- Au violon, la ligne
mélodique
est développée sous forme d’oscillations sur quelques intervalles,
et de notes répétées dans une rythmique en valeurs très brèves pour traduire “l’esprit” oiseau.
- Les motifs musicaux sont semblables. Lorsqu’il y a répétition ou reprise, nous trouvions toujours un élément de variation : nombre de notes répétées, intervalle légèrement modifié, rythmique identique mais décalée.
- A la clarinette, le chant d’oiseau est beaucoup plus développé mélodiquement. La mélodie est l’élément prédominant de ce chant. Grands intervalles et demi-tons sont associés ; le trille, situé à l’intérieur de la phrase musicale, nombreuses
attaques. La mélodie est sans cesse renouvelée. Fluide et capricieuse, la mélodie se développe en faisant réapparaître ça et là quelques microstructures.
Le Quatuor pour la fin du Temps est probablement la partition
la plus abordable pour sa familiariser avec le langage de Messiaen.