« En écoutant ma musique, vous
découvrirez la vérité sur moi, l’homme et l’artiste ». (Dimitri
Chostakovitch)
L’écriture de la musique de chambre de Chostakovitch correspond à sa
disgrâce du régime stalinien en 1936, suite à l’immoralité de son deuxième
opéra, Lady Macbeth. C’est à cette
époque qu’il écrit sa première œuvre de musique de chambre, une Sonate pour violoncelle et piano op.40,
à la demande d’un organisateur de concerts.
A partir de 1938, il compose quinze quatuors à cordes, et ce jusqu’à
un an avant sa mort en 1974. Ses premiers quatuors sont d’influence très
classique (Beethoven, Haydn), Chostakovitch abordant le genre d’un point de vue
strictement formel, puis à partir du cinquième, il veut donner une puissance
quasi symphonique à ce genre de musique de chambre. Après assimilation des
langages beethovénien, debussyste ou bartokien, il ne retient de l’Ecole de
Vienne que quelques artifices. Ses derniers quatuors sont davantage des œuvres
pour solistes, où chaque interprète se voit attribuer le rôle principal.
Ses quinze quatuors sont comme un journal intime, reflétant ses
angoisses et souffrances d’hommes miné par le régime soviétique (ses quatrième
et cinquième quatuors resteront dans des tiroirs jusqu’à la mort de Staline)
puis par la maladie.
Dédiés à chacun des membres du Quatuor Beethoven (créateurs des
quatuors de Chostakovitch), les quatuors n°11 à 14 (1966/1973) forment une
sorte de cycle. Dans la nuit qui suit la création du onzième quatuor,
Chostakovitch est victime d’une première crise cardiaque. En 1967, on identifie
la maladie dégénérative qui le mine depuis dix ans.
Avec le quatuor n°12op.133, on aborde des œuvres
« magistrales ». Ce quatuor porte bien son nom, faisant référence au
dodécaphonisme schönbergien. Bien qu’il empreinte même plusieurs éléments de la
seconde Ecole de Vienne, Chostakovitch ne renonce pas au monde tonal : l’œuvre écrite en Ré bémol majeur intègre une série de
douze sons répétée sous diverses formes dans sa musique tonale, lui permettant
ainsi d’exploiter les tensions créées par ces séries chromatiques.
Le Quatuor
n°12 fut crée par le Quatuor Beethoven le 14 septembre 1968 à Leningrad.
Analyse :
Premier mouvement, Moderato :
Chostakovitch débute son quatuor par un mouvement particulièrement
long, sorte de monologue passant par les quatre instruments tour à tour. Le
violoncelle introduit tout d’abord une série de douze notes, qui sera reprise
et modifiée plusieurs fois au cours du quatuor. Cette série se termine sur un
Ré bémol affirmant ainsi la tonalité de l’œuvre et la dualité amère entre le
tonal et l’atonal. Dans ce climat triste et pesant, deux thèmes s’installent,
séparés par une série chromatique qui efface la tonalité principale. Les deux
mondes musicaux sont ainsi exposés, sans ambages, sans relations, de manière
brute. Toutefois, la forme du mouvement est celui d’une forme sonate classique.
Deuxième et dernier
mouvement, Allegretto :
L’Allegretto est un incroyable mouvement long d’une vingtaine de
minutes, où se succèdent des dissonances, des ruptures, des métamorphoses de la
série initiale, le tout dans un climat austère.
L’Allegretto démarre par une cellule de quatre doubles croches énoncées
au violoncelle, qui entame un long monologue suivi par les autres membres du
quatuor en sourdine. Ils vont peu à peu intensifier leur jeu jusqu’à égaler
celui du violoncelle.
Après un accord en La majeur la série
chromatique réapparaît en pizzicati, puis le violoncelle revient avec la
cellule initiale. Ce « récitatif » dramatique amène peu à peu un « finale »
plus serein en réaffirmant la tonalité de Ré bémol, mais laissant les musiciens
– et l’auditeur - épuisés par toutes les tensions dramatiques.