Ecrit en 1908, le premier Concerto
pour violon de Bartók a tout une histoire : d’abord écrite pour la
jeune violoniste Stefi Geyer, l’œuvre fut remaniée et son premier mouvement
devient le premier de Deux portraits
pour orchestre. L’œuvre concertante est ensuite sortie de son ombre cinquante
plus tard, en 1958, grâce au chef d’orchestre Paul Sacher qui décide d’en
confier la création à Hansheinz Schneeberger, deux ans après la mort de Stefi
Geyer et 13 ans après celle du compositeur.
En 1908, le jeune Bartók est amoureux de Stefi Geyer. Dans son œuvre,
plusieurs motifs dédiés à Stefi prennent forme. « Vos leitmotive me hantent, je vis du matin au soir en leur compagnie,
en eux, comme dans un rêve narcotique. Et c’est bien ainsi ; mon travail a
besoin d’un opium de cette sorte, même si cela use les nerfs, même si c’est un
poison, même si c’est dangereux. »
Il décide d’immortaliser son amour au travers d’un concerto pour
violon. En quelques semaines, deux mouvements sont prêts, dans lesquels il voit
deux portraits de Stefi. Froissé par son indifférence, il souhaite en ajouter
un troisième qui dépeindrait sa froideur : « Le portrait musical de St. G. idéalisée existe déjà – il est céleste,
intime ; existe aussi celui de la pétulante St. G. – il est plein d’humour,
spirituel, distrayant. A présent, il me faudrait aussi composer le portrait de
la St. G. indifférente, froide, muette. Mais ce serait une musique laide. »
Bartok abandonne pourtant l’idée du troisième mouvement pour ce concerto. Il
reviendra à cette idée après sa rupture avec elle, dans le second mouvement de Deux portraits.
Analyse :
Le Concerto pour violon et
orchestre n°1 se compose de deux mouvements :
1. Andante sostenuto
2. Allegro giocoso
L’Andante Sostenuto est
écrit dans une tonalité élargie, telle que pratiquée chez Wagner ou Richard
Strauss. Il reflète assez bien les préoccupations harmoniques de Bartók à cette
époque de sa vie. Le thème (leitmotiv de Stefi) est une aria envoutante,
reposant sur un élément chromatique, puis un autre pentatonique (traduisant ses
récentes découvertes etchnomusicologiques). Après son énoncé au violon soliste,
le thème gagne l’orchestre dans un contrepoint assez limpide. Cette partie très
lyrique est décuplée avec l’entrée des vents et des cordes graves. Jusqu’au
bout, le violon mène la danse et le thème de Stefi monopolise l’attention jusque
dans les dernières mesures.
L’Allegro giocoso contraste
vivement avec cette page lyrique. Construit également sur un leitmotiv de
Stefi, ce mouvement, construit sur une forme-sonate, se veut virtuose et
démonstratif. Bartok rend hommage à ses modèles (Liszt, Richard Strauss…) en
transformant tout le matériau musical de ses thèmes et éléments motiviques secondaires
(renversement, compression…). A la fin de la réexposition, Bartók fait entendre
un motif, accompagné d’une date dans le manuscrit : Jaszbérény, 28 juin 1907.
Il s’agit en fait d’un canon écrit par le professeur de composition de Bartók,
Janos Koessler, que chantait son élève, Stefi et son frère. Celui-ci donnait
lieu à des hennissements humoristiques. Après cette intrusion musicale
surprenante, Bartók retombe enfin sur le leitmotiv de Stefi et clôt son Concerto.
Stefi Geyer fera plus tard une analyse de « son » Concerto : « Il ne s’agit pas à proprement parlé d’un
concerto, plutôt d’une fantaisie pour violon et orchestre. (…) Les deux
mouvements sont deux portraits, le premier est la jeune fille, dont il est
amoureux ; le second est la violoniste qu’il admire. »