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Germaine Tailleferre, l'Affaire Tailleferre

4 opéras radiophoniques

Généralités :

Germaine Tailleferre écrit un ensemble de quatre opéras bouffes, pour répondre à une commande de la Radiodiffusion-Télévision Française (R.T.F.), passée par son ami écrivain Jean Tardieu. Ces quatre opéras sont regroupés sous le cycle Du Style Galant au Style Méchant et ont été composés en 1955, sur des livrets de Denise Centore (la nièce de Germaine Tailleferre) la Fille d'Opéra, le Bel ambitieux, la Pauvre Eugénie et Monsieur Petitpois achète un château. Ces opéras ont été créés à la radio le 28 décembre 1955 par l'Orchestre de la R.T.F., sous la direction de Marc Vaubourgoin.

La première particularité de ses opéras est leur durée. Ils ne durent pas plus de quinze / vingt minutes chacun, pour une durée totale d'une heure vingt, alors que deux heures voire plus sont nécessaires pour un opéra "traditionnel". C'est pour cela que ces quatre œuvres sont qualifiées de d'opéra de poche.

La seconde particularité est le genre bouffe. Ce genre vient de l'Italie du XVIII° siècle et désigné une pièce plaisante, généralement comique. Sur le plan musical, un opéra bouffe sera donc léger sur le plan lyrique, orchestral, aura une durée moindre que le grand opéra et possède un sujet comique.

La dernière particularité de ce cycle est le pastiche. Le sous-titre de ce cycle est "Petite histoire lyrique de l'art français, du style galant au style méchant". Ainsi, Germaine Tailleferre doit raconter l'histoire de l'opéra à travers les âges.

Du style galant au style méchant comprend donc un opéra classique écrit à la manière de Rameau (La Fille d’opéra), un opéra romantique à la Boieldieu ou Rossini (Le Bel Ambitieux), un opéra réaliste à la Bruneau ou Charpentier avec un livret « tranche de vie » rappelant Zola (La Pauvre Eugénie) et l’opérette selon Offenbach (Monsieur Petitpois achète  un chateau). Un cinquième opéra, Rouille à l’arsenic (écrit dans le style des chansons populaires) était présent à la création, mais la partition fut perdue. Il ne reste aujourd’hui que deux numéros, conservés à la bibliothèque de Radio France : La Gagneuse et la Chanson de Paulo la Bafouille.

Germaine confie : « Je me suis bien plus amusée encore à écrire mes opéras-bouffes Du style galant au style méchant : un faux XVIII° siècle, un faux romantique, un faux Offenbach – le plus réussi, je crois de tous ces « à la manière de » - et un faux naturaliste, avec pour finir un policier brûlé à l’arsenic. »

 

La Fille d'opéra :

Synopsis :

L'action se déroule dans la France du XVIII° siècle. Pouponne, ayant quitté son village natal où l'entretenait un financier, s'établit comme lingère à Paris. Elle peut s'adonner à ses nouvelles amours avec le chevalier Mistouflet. Mais des créanciers se présentent : d'abord ses parents qui lui ont prêté de l'argent pour s'établir, puis un bottier et un merlan qui réclament la somme de cent pistoles au jeune couple (dettes qu'ils auraient contractées pour leur bon plaisir). En cas de non règlement de la dette, les créanciers déposeront plainte au Châtelet. Le couple décide alors de fuir à Limours, ou Mistouflet possède un château. Mais un inspecteur arrive, envoyé par le père de Mistouflet car ce dernier lui coûte trop cher, qui le menace de l'envoyer à la Bastille. Pouponne est affligée, mais elle reçoit un billet d'un riche milord écossais (Mac Sennet), amoureux d'elle, qui lui propose de régler ses dettes et de la faire entrer à l’opéra en échange de ses faveurs. Pouponne cède bien vite à cette tentation.

 

Le livret :

Avec un livret se déroulant dans la France du XVIII° siècle, Denise Centore doit proposer un pastiche du français de cette époque. Pour cela, elle recourt à un champ lexical identique à celui des ouvrages de Campra ou Rameau ("félicité", "affliger", "la triste contrainte"), utilise les noms des monnaies anciennes (ducats, pistoles), ou un vocabulaire désuet ("Merlan", "Souffrez que je me présente").

Pour évoquer l'univers paysans des parents de Pouponne, elle ne respecte pas les règles de la langue française, accordent mal les verbes ou supprime des consonnes : "je sommes venus d'Arpajon", j'avons quitté", j'la f'rons met' à l'hôpital").

 

Analyse :

Premier opéra du cycle, la Fille d'opéra nous emmène au temps de Jean-Philippe Rameau. Il se compose d'une mini-ouverture et de onze scènes, et met en scène sept personnages : Pouponne, sa mère et son père, Mistouflet, le bottier et le merlan (ancien nom du perruquier), et l'inspecteur. L'orchestre se compose d'une flute, un hautbois, une clarinette, un basson, deux cors' une trompette, un trombone, des timbales et percussions, un clavecin, huit premiers violons, six seconds violons, quatre alors, quatre violoncelles et deux contrebasses.

Ouverture :

L'ouverture de la Fille d'opéra est très courte. Confiée à l'orchestre, elle ne fait que huit mesures, construite en un antécédent de quatre mesures (se terminant par une demi-cadence) et un conséquent de quatre mesures (se terminant par une cadence parfaite). Écrite dans la tonalité de Sib majeur, elle est écrite dans un tempo maestoso (majestueux en italien), une rythmique à trois temps (3/4) et recours à une d'écriture pointée très solennelle.

Cette ouverture reprend des ingrédients musicaux typiques de l'ouverture à la française des XVII° et XVIII° siècles tels que les utilisaient Lully, Campra ou Rameau : le côté majestueux, les rythmes pointés (croches pointée-doubles et noires pointées-croches), la carrure fixe construite en antécédent / conséquent. Seul la métrique à 3/4 diffère de celle du XVIII° siècle qui usait traditionnellement du 2/4 pour l'ouverture.

 

Scène 1 :

La première scène est représentée par un duo entre Pouponne et Mistouflet. Il débute par un prélude instrumental à l'orchestre : la mélodie est donnée aux violons et à la flute, sous un accompagnement de clavecin. Cela conforte le sentiment de sérénité et l'idylle des deux amants.

L'écriture est simple (en noire et croches), soulignant le caractère populaire et naïf. Le plan tonal est simple : la tonalité principale est le de Fa majeur, puis les modulations se limitent à la dominante (Do majeur) et à la sous-dominante (Sib majeur). Les accords utilisés se limitent également à des degrés simples (I-II-IV-V) et la ligne mélodique est doublée à la tierce et à la sixte harmonique. Nous sommes donc dans un parcours tonal "classique".

La structure de ce duo est claire et parfaitement équilibrée, pouvant se diviser en sections de quatre mesures.

Scène 2 :

Cette scène est uniquement parlée. Le dialogue s'effectue entre Pouponne et Mistouflet, sans aucune musique.

 

Scène 3 :

Il s'agit d'un Trio entre Pouponne, sa mère et son père. Il débute par une introduction orchestrale qui présente le premier motif, dans la tonalité de Fa majeur. Germaine Tailleferre garde cette tonalité sur l'intégralité du trio.

Ce premier motif attaque par un saut de quatre et n'est pas sans rappeler les chansons enfantines, comptines ou musique populaires, comme par exemple "Nous n'irons plus au bois". Là encore, nous avons une structure claire et précise avec trois motifs thématiques qui sont attribués à chacun des personnages. Chaque motif fait huit mesures, pouvant se subdivisé en deux fois quatre mesures.

Le motif A est associé à la mère de Pouponne. Il est écrit sur une mélodie d'ambitus faible (une octave) avec de petits intervalles de seconde de tierces et des notes répétées, et est construit sur une pédale de Tonique à la basse.

Le motif B est réservé au père de Pouponne et consiste en un unisson et une octave ascendante, sur une pédale de dominante.

Le motif C est attribué à Pouponne et se présente comme une formule cadentielle.

Au Trio s'ensuit un récitatif entre les trois protagonistes, qui rappelle fortement le recitativo secco de l'époque baroque, c'est-a-dire accompagne uniquement par une basse continue (consistant en un clavecin qui effectue des arpèges). Ce récitatif très court (mesures 59-64) se termine par une personne formule cadentielle  très lyrique du Père, typique des airs baroques. Il module vers la tonalité de Sol majeur, qui sera la tonalité de l'air de Pouponne qui suit.

Cet aria, très courte, est écrite sur un rythme de sarabande, avec des valeurs pointées, et construite sur un antécédent et un conséquent de quatre mesures chacun.

 

Scène 4 :

Le duo qui caractérise cette quatrième scène est un véritable duo entre Pouponne et Mistouflet, où les deux voix sont à la tierce ou à la tierce harmonique. Germaine Tailleferre reprend les trois motifs entendus dans la scène 1. Elle présente tout d'abord le motif A à l'orchestre avant de le faire entendre au duo. Le motif C sera davantage entendu et même développé, toujours par carrures fixes de quatre mesures (mesures 25-40).

Scène 5 :

Pour cette scène, Germaine décide d'annoncer l'arrivée des deux nouveaux personnages en fanfare : l'écriture est rapide, en doubles croches. Écrit pour les bois au complet et timbales, ce passage accentue le caractère paysan. Germaine recours ici à l'écriture modale, avec le mode de Fa, transposé sur Ré, et ce malgré l'armure de La majeur.

Mistouflet, le Bottier et le Merlan interviennent ensuite a capella, dans un style militaire. Cela se transforme en récitatif qui nous amène les tonalités de sol mineur, la mineur, si mineur, mi mineur.

Merlan et Bottier poursuivent par une aria "alternée" qui nous présente trois phrases musicales : A-B-C-A

Apres la reprise de la phrase A, arrive un passage en quatuor entre Merlan, Bottier, Pouponne et Mistouflet. Merlan et Bottier ponctue à contretemps les phrases des deux amants, mais répété cinq fois de suite, Germaine arrive à nous faire entendre un vrai comique de situation. Elle conclut cette scène par un interlude parlé, qui se veut dramatique.

 

Scène 6 :

Le même style d'échange se poursuit, mais cette fois entre Mistouflet et Pouponne. La tonalité est celle de do mineur, la "mélodie" est écrite avec des valeurs pointées, des syncopes et des contretemps, sous un soutien attentif des cordes. Germaine Tailleferre souhaite d'ailleurs que ce passage soit agité, "dramatique, angoissé même". Cet échange dure deux fois huit mesures, car il est interrompu par un nouveau récitatif, qui accentue le dramatisme. Mais si l'on se réfère aux paroles, ridicules ("Je te suivrais jusqu'à Limours), Germaine nous emmène une fois encore dans un vrai comique de situation.

 

Scène 7 :

Elle débute par une partie entièrement parlée, et fait entrer un nouveau personnage, l'Inspecteur. Cela amène le Trio de la Bastille. C'est un passage typique d'un air de Tragédie Lyrique du XVIII° siècle à la Rameau. Il est construit sur la forme d'un aria da capo, dans la tonalité de do mineur. La dernière reprise de A ne fait pas partie de la forme additionnelle, mais permet un passage homorythmique équilibré faisant entendre les trois voix simultanément.

Scène 8 :

Elle débute elle aussi par une partie entièrement parlée, entre Mistouflet, Pouponne et l'inspecteur. Musicalement, la partie de la scène 8 reprend la mélodie de la scène 3. Un bref passage parlé et Germaine enchaîne la scène suivante.

 

Scène 9 :

Il s'agit d'une Forlane. Une Forlane est une danse d'origine italienne importée en France au XVII° par Campra (il l'utilisa notamment dans l'Europe Galante en 1697 et les Fêtes vénitiennes de 1710). L'utilisation d'un nom de danse rappelle l'importance de la danse dans la tragédie lyrique française des XVII° et XVIII° siècles.

Cette Forlane est écrite dans la tonalité de Sol mineur, et dans une mesure ternaire à deux temps (6/8), avec un rythme de sicilienne omniprésent. Elle présente un premier motif à l'orchestre, avant que Pouponne le reprenne. S'ensuit un second motif, construit sur le même modèle mélodique.

Les deux motifs possèdent des carrures de huit mesures, qui se subdivisent en deux fois quatre (antécédent / conséquent). Ils sont chacun repris trois fois tour à tour.

 

Scène 10 :

Germaine nous fait entendre à nouveau un rythme militaire (un peu identique à celui de la scène 5). Cette partie, écrite en La majeur, fait entendre un nouveau rythme de croche pointée-deux triples, rendant le caractère plus nerveux de la musique.

Cette section est construite sur la forme d'un aria da capo, A-B-A'. La reprise de la partie A est destinée au trio Merlan / Bottier / inspecteur, soutenu mélodique lent par les violons.

 

Scène 11 :

Arrive le Final qui regroupe l'ensemble des protagonistes. Nous trouvons encore une fois une introduction orchestre de huit mesures, dans la tonalité de Fa majeur. C'est une fanfare triomphale, avec une mélodie donnée aux violons, doublée à la flute et à la trompette pour le côté triomphant.

Pouponne parle seule une dernière fois, puis enchaîne sur un récitatif très colorature avec des trilles, des gammes brisées... puisqu'elle se voit déjà "embellir à l'opéra les airs de Monsieur Rameau".

Enfin, Germaine nous emmène dans le septuor final. Construit sur une forme rondeau en Couplet / Refrain, ce passage propose deux couplets et une coda finale :

 

                                                                                                                                                                                                         

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